• Résistible transfiguration de la politique ?

     

    L'idée de base date de quelques décennies. Parce qu'on l'a occultée, ses conséquences ne sont pas forcément perçues par tout un chacun. D'autant plus que demeure un respect résiduel pour les politiques, un refus de mise en observation, question. Quand ce n'est une granitique indifférence pour la présence et l'action, perçues comme forcément égoïste et nuisible des hommes et femmes à écharpe tricolores.
    Éclairer la nouvelle forme et l'écart des politiques par rapport à ce qu'ils devraient être et ne sont plus depuis longtemps, dans l'esprit commun, c'est toute la visée du texte qui suit.

     

     MAJ en fin d'article

     

     

     

     

    Résistible transfiguration  de la politique ?Résistible transfiguration  de la politique ?onformément aux vœux des médias et de leurs maîtres, les richissimes Arnault, Bouyges, Drahi, Perdriel et autres, nous avons migré dans une bulle temporelle, le futur proche. Les briques du futur sont des signes lumineux, à profusion.


    Le futur proche a ceci de particulier qu'il est en avance de quelques années sur le présent et qu'il entend bien le rattraper.
    Quels que soient les événements surgissant dans le présent, ils sont filtrés pour intégrer le futur proche et classés selon ses valeurs. Le futur proche est donc un territoire audio-visuel structuré techniquement pour l'essentiel par les chaînes de télévision et radios, avec quelques périphéries textuelles et un territoire problématique, encore en formation, le Net. Les sujets et personnages y sont politiques, globalement, mais participent du futur proche également des talk-show, toute émission présentant, célébrant des hommes et femmes de pouvoir, par l'intermédiaire des gardiens. Le territoire compte une centaine de parcelles, diversement étendues, inégalement magnétiques.

     

     

     

    Valeur cardinale, l'incertitude. Dans le futur proche, on s'interroge. Mais ne s'interroge pas qui veut. Il faut être adoubé par les gardiens du futur proche. Pour être adoubé, il ne faut pas, en principe, être universitaire, de gauche ou indépendant d'une boite à penser, sinon d'un institut de sondage. Il ne faut pas non plus être inconnu, invisible. Il ne faut pas appartenir à une association active contre les pouvoirs en place. Enfin, il ne faut pas être membre d'une minorité non blanche, ou alors avoir montré patte blanche. Il faut impérativement arriver en costume gris et figure contrite. Il faut surtout être capable de résumer la situation d'une personne, d'un pays ou d'un programme économique en 20s chrono. Enfin, il faut pouvoir s'interroger sur le mode du jeu, en n'accordant qu'une importance toute relative au sujet, juste moyen d'entretenir la rhétorique définitive qui règne et l'aura d'enviable assurance, presque générique, que projettent les gardiens. Contrairement à ceux qui les admirent, en croyant les regarder.

     

     

     

    Moyennant quoi, s'étend tranquillement le futur proche. Un espace de temps si divertissant ! On y est toujours surpris, mais confortablement. Un peu comme dans les rayons du Bon Marché où on peut musarder sur des centaines de mètres, mais en ayant toujours un fauteuil pas loin. Il est si reposant de savoir que les hypothèses les plus fantaisistes ne dépasseront pas l'extrémisme de centre droit, ni le français facile niveau auditeur lambda.

     

     

     

    Valeur également importante dans le futur proche, les icônes/cibles y sont changées chaque jour. De place. Toujours pour divertir en rassurant, vous ne verrez que très rarement de nouvelles figures à interroger, interpeller, travailler, mettre en question autres que les hommes et femmes qui ont vocation à être icônes/cibles. Ce sont toujours nos mêmes amis, car c'est ainsi que la croisière s'amuse et reste dans des eaux préservées du cloaque réel ou ça travaille, ça peine et ça meurt sans bruits, sans images, sauf si elles servent le futur proche.

     

    Sauf changements cosmétiques mineurs vous verrez toujours le même gardien à l'écran TV ou Net, pour mettre en valeur nos amicônes. Légère rupture pour prévenir l'ennui, un gardien « nouveau » peut-être introduit. Son allure délicieusement empruntée, tombant de sa province avec de grands yeux avides de briller, ravira le public.

     

     

     

    Valeur des valeurs. Les gentils organisateurs du royaume – Calvi, Estienne, Perrinaud, Cayrol et autres un peu moins de la famille, montant du Net par exemple -, gardiens du futur proche, font en sorte de respecter l'ordre public, la morale et la bienséance. On ne s'abaisse pas à utiliser un patois untermensch ou un accent qui lézarderait la brillance des lumières du territoire. Tout ce qui est bas doit admirer d'en bas, entendre obligatoirement et obéir nécessairement. On n'accepte donc dans le futur proche que de confirmés prétendants au pouvoir, des gardiens flexibles et disciplinés.

     

    Il s'agit de gouverner la France, n'est-il pas, et on ne peut décemment tolérer que quelques pue-de-la-gueule... Les coureurs du cinq mille présidentiel ont été testés - physique, discours - dans diverses émissions d'abrutissement. Leur apparence est connue, leurs tics de langage, ce qui les rend colère ou leurs vilaines cachotteries comme les contours de leur appétit pour l'argent et le pouvoir, ainsi que leurs bassesses pour écraser délicieusement les autres coureurs. Tout cela est documenté scrupuleusement chaque jour par la presse, vrai test et rampe pour le futur proche. Tout cela enfle une rumeur générale qui rapproche le futur proche, rend ses étoiles finalement si, comment dire, réelles.

     

     

     

    Valeur souterraine mais décisive. L'impérative réalité dopée. Car la bataille que mènent ces gardiens des bases de notre société, enfin, de la société qu'il nous permettent de bâtir, se déroule sur le front du réel. Le futur proche bataille pour le présent, la présence. Les politiques et les experts présents en plateaux sont là pour amarrer notre présent dans le futur proche.

     

    Contradictoire ?...Vous avec déjà bu du jus d'orange, ou vos enfants. Prenez maintenant une orange véritable et pressez-là. Buvez ce jus. Vous préférez nettement le jus d'orange fabriqué avec soixante-quinze pour cent, un cg d’accélérateur de goût, une pincée de EECD, et des traces de fruits autres. C'est documenté.

     

    Vous ne pouvez que préférer les politiques Plus, ceux qui méritent, qui doivent, qui seront au pouvoir, qui y sont déjà dans le futur proche. Le politique Plus est comme le politique, mais il ne fait pas de politique. Le politique n'a pas de visage, il a une ossature et des mensurations. Le politique proche n'a pas de programme, il a des slogans. Le slogan est un condensé inapplicable de programme. Le politique représentait, le politique proche est humain, plus humain, plus politique.

     

    Résumons. Le politique – et la même réduction amplificatrice est à l’œuvre dans le futur proche pour ce qui fut le journaliste – est omniprésent, substituablement fascinant, vecteur de mots, et vivant, plus vivant.

     

     

     

    Le réel a une chance. Il suffit juste de laisser le futur proche s'enfoncer dans sa contradiction centrale. Son enjeu de sens est de poursuivre la magnification permanente, la reductio ad gloriam des productions corporelles et rhétoriques qu'il choisit. Laquelle magnification s'éloigne forcément des spectateurs. Elle tend à produire ce qu'expliquait Baudrillard, de la simulation. Laquelle « n’est plus celle d’un territoire, d’un être référentiel, d’une substance. Elle est la génération par les modèles d’un réel sans origine ni réalité: hyper-réel. ». Le futur proche tend à grandir sans rapport à quelque réalité que ce soit. Avant ce stade, il diverge de façon sensible de notre réel.

     

     

     

    Et je ne peux être comme lui, parfait dans ma démarche, impeccable dans mon costume, élégant dans mon habit de cuisinier si je suis épuisé, si mon présent est lézardé. Pas tout le monde. Pas tout le temps. Pas longtemps.
    Je ne peux pas enflammer l'air en permanence de slogans magiques, attraper l'avenir juste en tendant la main si j'ai une tendinite au bras à force de cliquer sur mon ordinateur au travail ; si j'ai un enfant réel qui ne fait pas ses nuits de sommeil. Pas tout le monde. Pas tout le temps. Pas longtemps.

     

     

     

    La réalité de l'hyper-réalité en marche se situe dans les têtes. Nos hyper-politiques, pour ne citer qu'eux, élisent domicile tout au fond de nos têtes et se dépêchent de bâtir une autre réalité qu'on plaquera sur le réel avec la bénédiction des élites-miroirs dans le domaine économique et médiatique.

     

    En face de la dynamique de déréalisation et ceux qui y ont intérêt, il n'y a qu'une société complètement délitée, en proie à l'individualisme – déclinaison par le pauvre de l'hyper-réalité politique couplée à un totalitarisme institutionnel pendant de la transfiguration médiatique du politique. Et les valeurs républicaines. Valeurs qui ne donnent pas de plan pour s'opposer, revenir au réel, le retrouver.

     

    Ce qui est certain, c'est que le paradigme de la République, comme celui du communisme, c'est un groupe de gens qui agissent, ont une activité ensemble, librement choisie, fraternellement exercée, sur une base égalitaire.

     

    Cela suffit-il pour empêcher le vaisseau politique de quitter la Terre, entraînant avec lui les escorteurs économiques et sociaux dans une galaxie hyper-réelle où tout ce qui a lieu met le réel à distance, en le manipulant, ou en l'oblitérant ?

     

    Rien n'est moins sûr. Localement, comme nationalement, la pointe avancée médiatique de l'hyper-politique trouve ses pendants, ses déclinaisons dans l'action, de plus en plus déconnectée, des institutions et dirigeants locaux. De manière frappante, c'est bien un paradigme vraiment à côté qu'ils établissent. Leurs pensées, leurs discours, leurs réalisations s'adressent manifestement à un peuple hyper-réaliste construit sur mesure pour s'intégrer dans le paradigme politique hyper-réaliste qu'ils construisent rapidement.

     

     

     

    Pouvons sortir des schèmes mentaux qu'ont inscrit en nous trente, quarante années de développement de l'hyper réalité - exister c'est être vu, dire c'est faire, penser c'est entourer d'un trait brillant, être généreux c'est crier qu'on aime, agir c'est partager une indignation, être politique c'est être droit dans la lumière et tendre le doigt vers - ?

     

    Sommes-nous sûr que nous allons trouver, générer dans nos espérances rebelles et nos souhaits déviants, des citoyens, des représentants, des programmes réellement politiques, quelque soit le sens que cela puisse avoir aujourd'hui ?

     

    Pouvons-nous de nouveau concevoir une idée réelle de la politique, qui ne reproduise pas la simulation qui pousse dans nos têtes et les (dé)réalisations qui en découlent nécessairement ?

     

    Aurons-nous le temps de le faire et la force de l'imposer ?...

     

    MAJ :

    "La sphère politique hyper représentative de rien du tout", assène Baudrillard dans ce texte opportunément réédité.
    Comme le système des changes flottants, le système politique n'a plus de référence au réel mais à sa circularité totalement interne. L'opinion publique, les sondages en font partie comme les points cardinaux d'un territoire qui ne renvoie plus une réalité de forces, de luttes, de buts réels. Car ce qui est l'un est l'autre. L'opinion publique n'est que ce que construisent des chiffres de corrélation, de statistiques pondérées qui ne peuvent plus rien signifier comme expression politiques réelle, singulière et citoyenne. Le sondage n'est que l'agrégat de réponses modelées, pondérées, amalgamées d'un panel qui ne représente plus personne, ni plus aucun groupe à force d'avoir été construit et retaillé artificiellement en fonction de réponses à d'autres sondages illusoires sur une opinion publique tout à fait artificielles.

    Ainsi les enjeux du politique aujourd'hui sont fatalement hors de l'hyperpolitique présente sur écran comme dans les têtes. Se désengager pour retrouver notre réalité tangible, maîtrisable, signifie sortir des termes du substituable, de l'équivalence. C'est-à-dire abandonner, refuser, regarder, revivre hors de la marchandise que sont devenus le réel, le politique aujourd'hui.

     

     


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