• Une autre politique – fragments pour dénouer l'avenir

     

     

    Au stade de dépossession collective où nous sommes rendus, il faut soit donner les clés à l'envahisseur et se résoudre à voir la fin d'un modèle social des plus protecteurs du citoyen, car basé sur des valeurs, ou refuser le pouvoir à la racine de nos maux, pour lui substituer autre chose, avant qu'il  ne soit trop tard.

     


     

     

    "C'est pour ça qu'au fond il existe cette espèce de tension entre l'idée démocratique et ces gouvernements qui s'appellent des démocraties, alors qu'ils sont l'achèvement d'un procès historique pour établir la soumission de la démocratie."

     

    Entretien - Il n'y a pas de démocratie
    Jacques Rancière
    29-09-2014 in Libertaire.free.fr

     

     

    La politique et les politiques, aujourd'hui, posent problème à tout le monde, ou presque, quelques soient les termes de la critique et le lieux d'où elle provient. L'exaspération et le rejet s'incarnent dans la figure de celui qui porte jusqu'à un point d'incandescence le gouffre qui s'élargit entre les bénéfices tous azimuts d'une poignée d'individus déjà trop riches, et les attendus d'une population encore marquée par des espérances en voie de disparition.
    Des espérances renvoyant à l’État social et l'avenir meilleur, servis par des hommes et une pratique de la politique qui soit reliée à une éthique, un lien fort à la collectivité et une parole aussi juste que généreuse, une représentation réelle de celles et ceux qui l'on porté au pouvoir, ont approuvé son programme.

     

     

     

    Le dernier boute-feu, personne ne l'ignore désormais, s'appelle Emmanuel Macron. Emmanuel Macron qui n'est manifestement plus un politique mais un produit.
    Un produit post-moderne de la politique détruite de l'intérieur. Une marque dont les propos, les discours sont l'équivalent du « I love you » répété par le porte-clés de Michel dans le célèbre film du même nom, de Marco Ferreri. Macron n'est plus même dans le registre de la séduction, qui avait des garde-fous de langage, de posture.
    D'emblée il a proposé une « autre politique », un autre monde. Il s'est installé ailleurs en renversant les codes qui voulaient qu'on mette encore quelques éléments de langages, quelques bouts de politique dans la tambouille séductrice. « nous redonnerons à l’Europe et au reste du monde confiance en notre pays ». D'emblée on n'est plus dans la politique, programme/valeur. Il est question de vœux pieux dont les tenants et aboutissants sont vides. Qui aura confiance et pourquoi, personne ne le sait. Imagerie simpliste sortie de labos à faire du langage des ensembles vides, vacants On est dans une fiction, une parabole creuse qui ne raconte rien et ne débouche sur rien. Et il a continué ainsi, en déployant son monde imaginaire.

     

    La plupart des réformes qu'il impose sont bâties sur une France qui n'existe pas, ou à la marge, celle du travail plein temps, celle de l'emploi pérenne, celle du ruissellement, celle du travail bien rémunéré, celle d'une France « réconciliée », celle d'une France libre de marcher vers un avenir meilleur...Une politique qui ignore le présent, veut renier le passé, et méprise toutes les contraintes que subissent chaque jour ceux qui sont, quand même, destinataires de l'action de ce personnage élu par défaut.

     

    Emmanuel Macron, c'est l'après-pub, l'après séduction, le monde lui-même est fictionnalisé, et s'éloigne de la réalité en emportant les premiers concernés, les politiques, la politique, les chambres de décisions. Au chevet des politiques et du politique, il y a Macron.

     

     

     

    Ce qui n'empêche pas l’État, cette caste de hauts fonctionnaires tenant les institutions de continuer sa mission discrète, prioritaire sur tout, et même sur Macron qui a avoué être entré en bagarre avec son administration – ce qui montre le degré d'auto-endoctrinement du personnage, qui s'imagine être autre chose qu'un rouage d'une machine à sortir de la politique et d'en finir avec les Jaurès et le peuple. Mission qui l'amène à n'être qu'une machine à produire du même, la reproduction d'un ordre imaginaire, alors que la société se désagrège par tous les bouts.

     

     

     

    L’État, donc, continue sa fonction auto-générée  et auto-immune : se libérer du public, du peuple et des valeurs républicaines. L’État n'est plus au service de, même des politiques qui viennent faire un tour sur scène, s'assurer une retraite très confortable, satisfaire leur ego. Les mêmes mécaniques opèrent semble-t-il, de la même façon, dans toute l'UE, générant partout du ressentiment et des protestations durables. D'autant que ce qui est tenu pour responsable, l'UE n'est qu'un enchevêtrement ubuesque, parce que la hiérarchie apparente est fausse. Ce n'est pas la machine folle de Bruxelles qui dirige mais le Conseil des États, en réalité. Les vrais mandataires, ce sont encore et toujours les États, via les présidents de nations qui continuent à croire qu'ils gèrent, qu'ils tiennent les rênes.

     

     

     

    S'il se re-produit ainsi, c'est que l’État veut/doit suivre les injonctions fatales du maître Marché, du grand dissolvant des sociétés. L’État doit s'intégrer dans la production générale de Marché, qui n'est que la production du Marché. L’État doit devenir la plus grande instance et doit être épuré. Épuré au sens de débarrassé des archaïsme, coutumes et traditions apparentées sans doute à l'univers du don, de la gratuité. C'est ainsi que la plus grande partie des lois et règlements sont, au fond, destinés à créer ou favoriser un commerce, des entreprises, un échange marchand là où régnait le vide de la vie commune, insupportable pour les disciples de A. Smith qui déclarait lui-même : « rien ne doit être autorisé qui empêche la formation des marchés, et il ne faut pas permettre que les revenus se forment autrement que par la vente » (cité par K. Polyani ds « La grande transformation » – repris par Ayse Bugra ds Karl Polanyi et la séparation institutionnelle entre politique et économie).

     

     

     

    Une autre politique, ce serait quoi ?

     

    La question se pose et enfle à mesure que des parts de plus en plus larges du corps social subissent le divorce entre la politique dégénérée en fictions lénifiantes, en volontarisme vide, en personnalisation sans autre résultat qu'une visibilité dans un univers médiatique totalement détaché de la réalité.

     

    Une autre politique n'est pas possible, selon certains penseurs pris dans la dynamique médiatique qui ne croient et n'interrogent que les fictions en train de mourir dans la tête de plus grand nombre. On citera l'UE, la croissance, l'équilibre des comptes de la France, le travail rémunérateur, l'emploi pérenne, etc. Sans parler des valeurs mises au rancard, à commencer par la Liberté partout dans les fers et l’Égalité renvoyée au néant par la différence abyssale d'audience et de revenus entre l'ensemble du pays et un groupuscule doté de tous les pouvoirs et de toutes les autorisations, à commencer par celles qu'il s'accorde. Une autre politique n'est pas possible, elle est totalement nécessaire, cruellement obligatoire.

     

     

     

    Une autre politique commencerait peut-être par interroger et mettre en cause sérieusement le pouvoir.

     

    De béotiens innocents et volontaires, on peut le croire, qu'ils étaient au départ, les politiques deviennent rapidement des hommes de pouvoir. Le pouvoir corrompt, évidence chaque jour répétée. Comment stopper ses effets délétères ?

     

    En le diluant dans le nombre, en le rendant à ceux qui en sont toujours privés, les millions de membres du corps social. En invitant le plus grand nombre imaginer des procédures et des institutions instables sur la durée. En promouvant le désintéressement par des procédures qui rendront désirable l' « impouvoir », néologisme qui me semble adéquat.
    On récompense la puissance, le pouvoir, pourquoi ne récompenserait-on pas celui ou celle, ceux et celles qui prennent une charge politique avec la tâche de mener à bien des projets, des mesures qui les desservent, qui les dépossèdent, comme certaines tribus étudiées par Marshall Sahlins* le faisaient en élisant des chefs voués à se montrer de plus en plus généreux avec leurs sujets, avec pour récompense la satisfaction d'être reconnus, aimés, conservés dans leur rôle de chef, altruiste par obligation, par nécessité, par compréhension lucide par la tribu du mal potentiel inscrit dans la nature du pouvoir livré à lui-même.
    Savants et ddécideurs, jusqu'à présent, ne voient en ces tribus que des êtres sans politique, archaïques, sauvages...

     

    Tout cela peut sembler naïf, utopique. Mais les temps qui s'annoncent portent les plus grandes menaces pour la survie même de l'humanité. N'est-il pas justement temps de laisser déployer partout et par tous, l'imagination d'un autre monde qui s'ouvrirait par la grâce de politiques justement axées sur le réel, puisque la politique et les politiques d'aujourd'hui ne sont que des fantômes persévérant à organiser un monde qui n'est pas le nôtre et qui détruit de plus en plus rapidement la réalité ?
    Il ne coûte que d'essayer. Comment, je n'en ai pas la moindre idée, ou des bribes de réformes que je ressens frelatées par les dommages profonds que cause le système actuel dans nos esprits. Demeure l'imagination humaine et sa capacité à refuser l'ordre établi quand elle se trouve dos au mur. C'est, pour ainsi dire, notre cas.

     

     

     

    *Marshall Sahlins Âge de pierre, âge d'abondance

     

     

     


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