• La substance à récupérer

     

     

    Quelques parallèles entre l'art contemporain et la mode, à l'ombre du capital.

     

     

     

    La substance à récupérer

     

    La substance à récupérerans l'économie de Marché où nous évoluons, la Mode permet de trans-figurer – de donner une incarnation à l'Argent/Pouvoir via certains objets. L'idée étant que certains êtres humains récoltent ensuite la puissance/attraction du vêtement, de l'objet-mode. Et, donc, le créatif n'est pas au service de l'Art mais de la distinction. Principe général décliné par les matières, les prix, la nature, la diversité des accessoires, aussi bien que par la notoriété du créatif et du modèle, toujours cités en contrepoint de la marque qui distingue.

     

    Comme certaines productions, tendances de l'art contemporain, la mode ne dévoile, ne magnifie qu'elle-même, enfouit ce qu'elle voudrait suggérer ou faire éclater, sous l'appareil et l'apparat.  Parmi ces oeuvres contemporaines, je pense à Christo et ses linges sur ponts, entre autres. On ne voit que l'atour, on ne voit que le premier degré. Le pont est comme un enfant habillé, comme une créature de mode. Les enfants habillés sont les vecteurs idéaux de la mode. Leur personnalité, leur aura encore faibles, inachevées, disparaît, sous le vêtement. La mode n'est jamais si juste sur sa fonction majeure que quand elle écrase ses mannequins sous le poids des choses qu'ils (su)pportent. Ils n'ont pas la force d'exister, on ne leur demande pas d'avoir la force, on leur impose de s'occulter.

     

    La mode doit régner comme une logique, un outil de distinction non pas personnel, - comme le croient tous ceux qui viennent, les poches lestées, tenter de s'acheter eux-mêmes - mais générique. L'être humain, le propriétaire, le créateur et autres petites mains sont placés en retrait. Ce qui sera distingué ce n'est pas Mme Unetelle, ou M. Machin, mais ce que portent Madame et Monsieur. Le chemin va du vivant vers la chose. Avant de grimper vers la puissance : la/le marque/propriétaire.

     

    Analogie, donc, avec l'art contemporain dans certaines de ses productions. Certaines créations ont leur « sens » arrêté à la sortie. Il tourne en boucle autour de l’œuvre, sans pouvoir atteindre ceux qui regardent l’œuvre. Le regard du spectateur – "C’est le regardeur qui fait l’œuvre", comme disait Duchamp – ne peut capter ce sens – concept, émotion, étrangeté, altérité, surprise, familiarité.. - et rejoindre la rive de l'humanité un peu plus humanisé, insérer cette œuvre dans son propre cheminement spatio-temporel vers sa propre humanité, vu qu'il n'y a pas figuration. Figuration, c'est-à-dire re-présentation de la figure humaine dans l’œuvre – figure au sens général de l'être humain, l'esprit, les sensations/perceptions, le corps aussi mais pas nécessairement.

     

    Quelque chose de l'humain n'est pas dans l'activité mode, qui se suffit à elle-même, ou plutôt suffit à faire de la valeur, des objets de valeur. Quelque chose de l'humain n'est pas dans certaines œuvres contemporaines qui participent plutôt de l'essai, d'un fonctionnement spirituel où ce qui compte c'est l'adéquation entre la chose produite et le projet initial qui initie, définit des rapports à usage interne à l’œuvre, accessibles par des initiés utilisant eux aussi ce type de logique. Ce fonctionnement « interne » prête à toutes les manipulations, à tous les discours communicants qui imposent leur sens et leurs intérêts à ce qui ne réplique pas.

    Illustration. La logique d'allègement de la dette grecque était impeccable ; tout allègement suppose la réduction du poids, dont la suppression de ce qui alourdit. Il s'est avéré que ce qui alourdit, c'est la part d'humanité. Et donc la réussite fut interne. Le poids des dettes publiques fut allégé aux yeux des financiers et des algorithmiciens, l'équation avait fonctionné, mais elle ne renvoie à, ni ne reflète une part d'humanité, un lien à l'humanité. Humanité, dont une partie a disparu, au sens propre. Les statistiques de mortalité ont explosé, comme celles des dépressions, des maladies psycho-sociales...

     

    La mode offrirait donc un piédestal, croient les visibles sur leur montagne d'argent. Mais quand il n'y aura plus de visibilité, de divulgation planétaire, ni même de réseau planétaire. Quand la dérive des instances de direction, pensée, organisation s'alliera à la désorganisation, au dysfonctionnement des unités de production pour cause de multiplications des peak, et d'un downsising obsessionnel, et que la société mondiale s'éboulera... Bref, quand le groupe dont les membres cherchent à se distancer, se distinguer les uns des autres, sera un groupuscule isolé, totalement à rebours de l'humanité en mode procédure d'urgence, que deviendront la distinction  et les distingués ?

     

    Comme pour la mode, on nous dit que l'art contemporain serait mal compris. Sans doute, s'il suffit de comprendre. Mais l'art contemporain, certains de ses membres n'ont pas compris qu'il ne suffit pas de pédagogie, d'illustrer des rapports, des allusions, des coexistences fécondes. Sinon il l'art n'est plus que le syndrome d'une introversion structurelle qui ne sait plus pourquoi ni pour qui elle produit et ne valide qu'elle-même.

    On peut comprendre aussi cette réaction comme une réaction de défense. Le monde alentour traverse une galaxie financière particulièrement étendue, puissante et infiniment nocive.

    Je la vois plutôt comme une étape d'expérience. Beaucoup de courants ont coulé sous les ponts. Il en fut ainsi dans le domaine du jazz qui s'envola, se retrancha un temps dans le Free, larguant à peu près tout le monde.

     

    On ne peut pas faire l'économie artistique du rapport au spectateur, à l'auditeur. Le fil de l'humanité nous enserre tous et tant mieux. Lesté de ce garde-fous les artistes peuvent avancer vers leurs cimes sans couper la corde qui nous lie à eux. Et c'est sans doute le meilleur moyen de compliquer la tache des marchands. Un art vivant, un art solidaire respire aussi collectivement. Qui sait ce qu'il produira pour nous aider à sortir par le haut de la vingt-cinquième heure dans laquelle nous sommes embourbés.


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