• La France, qu'y disaient

     

    Des mots, des expressions, à force d'usage se retrouvent usés. On les qualifieraient de mythiques, si le qualificatif lui-même n'était pas rongé à force d'être employé par n'importe quel animateur de camping. Alors on les voit insensiblement disparaître des propos, des discours, avec leurs bagages de représentations d'une réalité qui s'évanouit peu à peu.

     

     

     

    La France, qu'y disaient

     

    La France, qu'y disaientne idée, une nation, pour certains ; un peuple, une culture pour d'autres. Si la chose à une existence quasi-certaine, elle a pourtant disparu du langage courant. Même les expressions « pauvre France », « douce France » ne figurent quasiment plus au registre des qualificatifs encore vifs. La presse convoque , encore un peu « la France ». L'imitation du discours tribunitien et de sa grandiloquence, aux moments fiévreux du pays, guette parfois les éditorialistes. Sauf, peut-être, dans la rubrique « international » où « la France » est employée comme métaphore technique, outil anti-répétition utile quand il s'agit de tenir à distance quelques exactions avec une bonne conscience en béton armé.

     

     

     

    Les politiques hésitent peu, la conscience bien serrée dans leur ego. La France est leur Graal et leur béquille. Ils se raclent la gorge avant de l'afficher sur le ciel doré des espérances qu'ils veulent susciter. « La France » est la mère, la fille, et surtout l'esprit saint qui doit gouverner tout français.

     

    Avec l'apparition et le développement de l'audio-visuel, l'expression s'incarne dans quelques figures qui en ont fait un usage singulier. Martiale et vibrante dans la bouche de De Gaulle, engoncée dans celle de Sarkozy ou Hollande, diluée dans celle de Macron.

     

     

     

    Un joli fourre-tout que ce mot-valise. Il faut mesurer la part d'histoire, de territoires, de ressacs populaires et de fureurs guerrières qu'il peut contenir. « La France »,  expression finalement a-chronologique, peut à tout moment offrir à l'autorité du politique une grandeur. Combien de discours insipides, de démonstrations mensongères ont tout de même emporté les applaudissements... 
    Le français est la reine des langues, le peuple adore les effets de manche. S'il suffit d'une expression pour rassembler les hommes, allons, c'est bien celle-là. Cette confiance aveugle des politiques, campés dans leur verticalité de plus en plus menacée, repose sur une idée finalement très littéraire : l'histoire se construit dans l'esprit du lecteur. Chacun à son propre pays dans la tête. Il suffit de l'évoquer et l'union se fait autour du messager. Pensée magique. Les mots sont finalement très prosaïques. Ils évoquent toujours une réalité, qu'elle soit factuelle ou pulsionnelle. Leur puissance vient de cette réalité. Ils sont échos, qui n'existent que parce que quelque chose les relance, leur donne puissance.

     

     

     

    La France des discours s'en va rejoindre les images sépia, les armoires normandes, les ventouses, le byrrh, les pattes d'éléphant et les téléphones à cadrans. A sa place un carrefour incertain où nous la regardons s'éloigner, se figer bientôt dans l'armoire des expressions anciennes.

     

    On spécule, mi-incrédule, mi-attendri, sur le substrat qui l'irriguait. Quelques saluts au drapeau, une poignée de rois et reines souriant de toute leur gloire, quelques barricades aux pavés classés historiques, quelques insurrections sépias, quelques futurs de cartes postales... Voire quelques paysans plantés dans la glèbe, frottant une noble sueur sur leurs fronts. Et nous laissons encore tout cela danser maladroitement dans nos têtes, comme ces films muets dont les tressautements nous émeuvent, tandis que les postures forcées des acteurs nous gênent sans que nous sachions vraiment pourquoi.

     


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