• CJ26 chronique du 2ème confinement - jour 26

     

    Écrits au jour le jour s'échappant vers la fiction, dans l'espace-temps du reconfinement...

     

     CJ26 chronique du 2ème confinement - jour 26

    « L'important, c'est pas le sujet, ou l'esprit du temps, encore moins le dernier effet de mode, c'est le pendule de l'écrivain ». me disait un ami poète, en sifflant lentement une goutte de Bordeaux au milieu du balcon et de la journée. Ca devait être vers le 20. On commençait à attendre avec une pointe d'impatience l'officiel qui avait dit qu'il reviendrait tous les quinze jours pour nous donner les ordres nouveaux, concernant évidemment le confinement.

     

    Mais là, on était dans le Bordeaux, comme d'autres font du trampoline. Le Bordeaux, c'est du local, ou à peu près. De toute façon, j'aime bien les rouges épais. Pas au sens de limité, au sens de profond. Un Bordeaux, ça roule dans la bouche, ou c'est pas du Bordeaux. Mais la différence, c'est que ça résonne dans toutes les pièces et ça fait un joli bruit d'ensemble. On était bien, sur le balcon, à cagnarder au milieu des rayons. Petit soleil d'automne, mais quand même. Cet ami, écrivain comme moi, ne tardera pas à percer, à mon avis, tant son talent est intense et mystérieux. Il est plus jeune que moi, c'est une chance dans le domaine. C'est une chance tout court, en parlant de pendule.

     

    Le pendule de l'écrivain. J'ai cherché à comprendre. J'ai cherché les connotations, et d'abord dans ma tête, puisque l'ami avait éludé quand je lui avais demandé de préciser. Il n'était pas sûr, ce n'était pas très clair. Un truc de poésie, du pointillé. Du bon pointillé, mais je sais pas vers où ça va, tu vois ? Je voyais pas vraiment, mais j'ai dit oui. On ne dérange pas le poète qui songe.

     

    Plus tard, j'ai fouillé du côté chronobiologie et physique quantique. Je captais quelque chose comme une idée de flux plus psy que temporel, ou de sujets qui seraient en lien par-dessus les époques, comme des balises intemporelles, des aiguilles qui n'indiqueraient pas le temps mais l'intensité d'un sujet, d'un objet, d'une intention ou d'une crainte. Il y aurait un rapport avec l'intemporel, l'éternité subjective. J'ai pensé à un bouquin que je n'ai pas relu, ni même aperçu depuis longtemps, qui approchait, il me semble, ce sujet, ou plutôt cette sensibilité. Ça s'appelait Soleil chaud, poisson des profondeurs. Disparu, le bouquin, même de ma bibliothèque. J'ai déménagé souvent.

     

    Finalement, j'ai perdu le sujet, l'objet et même le pendule. Je me suis même demandé si mon ami n'avait pas sous-entendu « la » pendule. Ce qui aurait changé pas mal de choses. En tous cas, mes recherches. Mais j'avais le temps, je ne pouvais pas dire que j'étais submergé, dans mon deux-pièces qui n'en finissait pas de finir en cul-de-sac.

     

    Cet ami continue, je pense, à étoffer son idée, mais nous n'en parlons plus. On se contacte par mail. Il est parti rejoindre son amie pour la durée du confinement. Ils ont une relation proche, mais qui garde une distance physique régulière. Je ne sais pas comment ils gèrent leur duo confiné. C'est un paradoxe, les gens ont besoin de se trouver, de se toucher, comme ils ont besoin de se séparer pour mieux trouver comment se rapprocher. Ce que ne comprennent pas, ou jugent de peu d'importance, les régulateurs cadrant ce qui est nécessairement fluctuant, car lié à ce que ressent chacun embarqué dans une amitié, un amour.

     

    Alors, le pendule de l'écrivain, ce serait quoi ? Il faudrait que je lui en reparle. Je préfère attendre qu'on se voit, dans un café, autour d'un verre, ou chez moi, oui, là où on a le temps de peser ce qu'on ressent au calme. Quand on sera sorti de cette espèce d'ambre qui nous ralentit et plonge nos têtes dans le chemin sombre, au fond de nous.

     

    Si j'arrive à l'attraper. Contrairement à pas mal d'auteurs, il voyage pas mal – je dis ça, mais je n'en connais pas des tonnes, des écrivains ; j'ai plutôt en tête une définition populaire : la plume qui maîtrise le monde et les gens, tandis que l'auteur est planté derrière son bureau bien à l'écart de ce qu'il décrit...- grâce à son métier. Il est spécialisé en climatisation. Ce qui l'a même amené à partir au pôle Nord avec un groupe de scientifiques cherchant les traces de gaz à effet de serre sur la calotte glaciaire. Il y a pris goût, et il participe aux préparations d'une expédition en Antarctique qui tentera de cartographier plus précisément les zones de failles de ce continent. Évidemment les conditions sont très dures, et le moindre accident peut être mortel. Il se prépare sans doute avec intensité. Peut-être même qu'il n'écrit pas une ligne. J'en doute mais, en tous cas, il ne répond plus à mes mails.

    Ça va pas être facile.

     

     

    J'ai repensé au pendule. Le temps a basculé, la semaine dernière. Un froid brutal, comme si l'hiver en avait marre d'attendre. Ça m'a retourné la tête, et les idées dedans. J'ai pensé au pendule comme si c'était une roue, une roue immense, rien à voir avec la roue des forains ou de la fortune, mais plutôt celle du destin. Destin des vies, des esprits qui voyageraient d'un corps à l'autre, vie après vie, sans souci du temps mais plutôt du niveau de conscience, par rapport au karma. C'est pas clair, ce que je dis, c'est vrai. Mais je le comprends comme ça. Ce qui ne veut pas dire que j'adhère vraiment à cette idée.

     

    Exemple, vous naissez dans un corps humain et vous passez une vie à engranger, sans vous préoccuper des existences autour de vous que vous utilisez ou ruinez pour satisfaire vos appétits. Karma chargé à bloc, négativement. Vous serez donc renvoyé dans un niveau inférieur, un niveau animal pour souffrir à votre tour et apprendre, peut-être.

     

    Le pendule serait le mouvement des esprits/psychés entrant ou sortant d'un corps vers un autre, dans un mouvement indescriptible d'oubli et de résurrection. Le pendule comme Phénix. Mais toujours le pendule particulier, celui de l'écrivain. Ça ferait un bon titre de nouvelle, dans le style Borges, le pendule de l'écrivain.

     

    Si je ne fais pas attention, ma tête s'en va piocher des idées comme un surréaliste dans une brocante. Affamée d'attraper le bric et de le rapprocher du broc. Alors, donc, le pendule, et l'écrivain. Les deux ensemble.

     

    Et pourquoi ça me pose autant question, cette formule, voilà la question.

     

    Mon ami a dit « l'important ». Qu'est-ce qui est important ? Est-ce que ce qui est important pour un écrivain l'est nécessairement pour n'importe qui ?

     

    Il faut sérier les questions, c'est ce que j'ai appris, ou plutôt compris, puisque mon prof de philo de terminale me le disaient déjà, mais je n'entendais pas. A l'université, j'ai réalisé que le savoir pouvait avoir un rapport avec le réel. Je pense que j'aurais plus vite saisi si j'étais déjà salarié à remplir des bocaux toute la journée, ou à conduire un tractopelle.

     

    Sauf que certaines questions ne se sentent pas bien quand on les série. Le pendule de l'écrivain, ça va ensemble, déjà. "L'important", ça va avec l'écrivain aussi. Son important à lui n'est pas le mien, en plus, même si je suis aussi un auteur.

     

    Ce qui m'amène à comprendre, enfin, pourquoi je tourne autour de ce pendule d'écrivain. Il y a peu de hasard dans ce mouvement au clavier, cette suite de mots chuchotés que j'envoie vers l'écran.

    Hier j'ai cité un passage d'un livre de ma bibliothèque. Mon pendule n'est que la figuration de l'événement qui m'a amené à choisir ce passage. Ce même fait frappant, cette braise encore en moi, m'a amené l'image du pendule. Le pendule représente ce qui est resté dans ma mémoire et comment ça c'est produit, en même temps que son effet sur moi, son écho dans ma vie, à ce moment-là et plus tard, c'est-à-dire maintenant.

    Mais il ne s'agit que de mon pendule. Mon ami vous dévoilerait sans doute une version tout à fait différente de pendule.

     

     

    L'extrait d'hier était tiré de :

    L'amour fou – André Breton (p. 144-147)

    Ed. Gallimard coll Folio - 1937



     

     


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