• BVA et C°ongénères : une machine à dissoudre la démocratie

    L'entreprise de sondages BVA vient de sortir un sondage qui ouvre la porte à tous les coups de sabre patronaux sur les salariés, ce, en régime d'austérité. Un petit problème, ce sondage est fallacieux, du sol au plafond.

     

    'est à peu près un sondage par jour qui tombe sur la tête des français. Ce massif bombardement a un impact incomparable. Rien de plus facile à retenir, à part une image, qu'un chiffre choc. Le sondage représente l'information la plus concise et la plus percutante disponible sur le marché.
    La pilule pourrait passer avec un grand verre d'objectivité, fondement du sondage renvoyant au temps où on disait « institut de sondages » avec en filigrane la scientificité universitaire. Aujourd'hui BVA, IPSOS, la Sofrès et autres sont des entreprises, certaines sont cotées en Bourse. Grosses machines à cash. Le marché pesait 1 milliard d'euros par an, en 2000.

     

     

     

    Le sondage livré par BVA sur le nouveau ministre de l'économie et les réformes structurelles possibles illustre à merveille le manque récurrent d'objectivité des sondages. Laquelle est majeure, puisque son absence biaise à la fois les résultats et la compréhension/définition du monde qu'ont les interviewés et lecteurs de sondages.
    Ainsi la question première de ce sondage. « Pensez-vous qu’Emmanuel Macron sera un très bon, plutôt bon, plutôt mauvais ou très mauvais ministre de l’Economie ? » nous influence d'emblée en plaçant des qualificatifs élogieux en premier. Il aurait été plus neutre de présenter une échelle avec chiffres – 1 à 4, 1. 1 "très négatif", 4 "très positf". Cela supprimerait l'effet des adjectifs et demande implicitement une évaluation distanciée. La dite question nous trompe également sur la vision du monde qu'elle offre. Elle ne représente pas une vision libre et responsable pour l'interviewé ou le lecteur de sondages.
    La question OBJECTIVE est naturellement : « E. Macron doit (devait)-il être nommé Ministre de l’Économie – répondez par oui, ou par non. ». Le fait de demander s'il sera bon ou mauvais, est d'emblée ambiguë – ces qualificatifs sont très vague et surtout entérinent le fait qu'il a la légitimité et la qualité pour être ministre de l’Économie.

    Poser la question sur la nécessité ou pas de Macron à ce poste met en jeu et sa légitimité, sa compétence, des données réelles et potentiellement connues. La question sondagière, telle qu'elle est soumise, dénie symboliquement aux gens le droit fondamental de s'interroger sur qui on nomme pour gouverner la France. Ce n'est pas rien. Accessoirement, elle relève de la boule de cristal. Transparaît, avec cette première manipulation, un tropisme autoritaire récurrent des sondeurs, souvent classés à droite, voire plus bas dans l'échelle politique. Les sondeurs ne veulent pas interroger les choix initiaux des politiques, ils ne veulent pas questionner et encore moins remettre en question la structure et le système de pouvoir.

     

     

    Mêmes défauts, même punition pour les trois autres questions du sondage. 

     

    Les 35h forment aujourd'hui un noyau dur de la gauche. Une des rares mesures plutôt positives qui restent aux responsables du PS depuis plus de vingt ans. C'est un ultime garde-fou, une barrière et un terrain d'affrontement direct et global avec la droite UMP, et sans doute un FN adorant le capitalisme national-patrimonial malgré les larmes du crocodile sur la mondialisation ; avec ces cohortes idéologiques soumises au patronat et bien décidées à détruire un à un les quelques boucliers troués restant au peuple salarié.
    Poser la question des 35h est un casus belli pour la gauche. Poser la question telle qu'elle est posée est un scud offert à la droite et l'extrême-droite.
    La question OBJECTIVE est naturellement : « Doit-on assouplir OU DURCIR les 35heures ? ». Aucune possibilité n'était occultée pour l'esprit devant choisir une réponse. On rétorquera à BVA que « DURCIR » était implicite. Si je vous dis, regardez et écouter l'histoire, est-ce que vous vous souviendrez de celle de l'agneau toute la séance ? Vous viendra-t-il à la fin l'idée que l'agneau à le droit d'avoir lui aussi une histoire ?...

    Question posée sur le contrôle des demandeurs d'emploi.
    On est payé pour savoir que le chômage croit sans cesse et les indemnisations baissent toujours. Sujet douloureux d'autant plus qu'il n'y a toujours pas de reprise, que l'austérité est la règle sur toute l'UE, mais que les profits des grandes firmes en Bourse sont encore en hausse en 2013, et les dividendes des actionnaires également.


    Ce qui n'empêche pas BVA de travailler pour le ministre socialiste (paraît-il) Rebsamen qui veut mettre la police du Pôle aux trousses des français privés d'emploi.
    La question posée est « Diriez - vous que y êtes très favorable, assez favorable, assez défavorable, très défavorable [à] Renforcer les contrôles des demandeurs d’emploi par Pôle emploi ?
    La question OBJECTIVE est naturellement :
    « Diriez - vous que vous souhaitez renforcer OU DIMINUER les contrôles des demandeurs d’emploi par Pôle emploi ? » Elle devrait être précédée par une question qui met en balance le dispositif, l'institution, la décision politique centrale qui mène à tout contrôle. « Faut-il contrôler, ou pas, les chômeurs inscrits à Pôle emploi ? ».

    Pour les trois questions, il faut impérativement proscrire les adjectifs «  favorable, défavorable ». Ils induisent un jugement de sentiment, alors que la question posée demande jugée selon les critères de la raison dépassionnée. Autre influence mineure pour le ministre, « très favorable » et « favorable » sont placés en tête, ce qui induit chez le répondant, on le sait, une tendance à les choisir.

    Question posée sur les 35h.
    Toujours le même contexte tendu, avec une volonté patronale que ne peut ignorer BVA. Vider le Code du Travail des derniers « freins » à l'exploitation sans limites des salariés. Les 35h, un des derniers barrages à la meute.
    Pourtant BVA n'hésite à poser la question ainsi, comme si Gattaz lui avait soufflé à l'oreille.
    « Diriez - vous que y êtes très favorable, assez favorable, assez défavorable, très défavorable [à] assouplir les 35h dans certains secteurs ? ».
    Toujours la même faute d'emploi d'adjectifs qualifiant l'humeur et non pas le raisonnement.
    A nouveau un seul côté du problème est éclairé. Comme par hasard, la face patronale. On ne peut que penser à « assouplir », chez BVA.
    Autre faute majeure, BVA se place du côté du contrat et non pas de la loi, puisqu'il choisit de proposer « dans certains secteurs ». Et pourquoi pas la peine de mort dans certaines régions et pas d'autres...La loi en France s'applique encore sur le territoire national et les questions posées par l'entreprise BVA relève, ici, des projets de loi.
    La question mieux formulée serait :
    Diriez - vous que y êtes très favorable, assez favorable, assez défavorable, très défavorable [à] DURCIR ou assouplir les 35h dans certains secteurs ? ». Mieux «  Diriez - vous que vous jugez devoir assouplir OU DURCIR les 35h dans certains secteurs ? »
    La question OBJECTIVE est naturellement : «   Pensez-vous qu'il faut introduire des dérogations, ou pas, à la loi sur les 35h ? ».

    Question posée sur le travail du dimanche.
    Encore une antienne des officines patronales et de leurs nombreuses marionnettes médiatiques, public et privé confondus.
    BVA se demande « « Diriez - vous que y êtes très favorable, assez favorable, assez défavorable, très défavorable [à] permettre à davantage d'entreprises d'ouvrir le dimanche ? »
    On passe sur les qualificatifs censés mettre de côté le jugement objectif. BVA oublie toujours le même côté, celui de ceux qui n'ont que leur force de travail à vendre et n'ont pas d'entreprise, de riche patrimoine pour faire travailler les autres. BVA confond « ouvir le dimanche » et « faire travailler des salariés le dimanche ». C'est une métonymie ou à peu près qui permet d'occulter que certains vont aller bosser l'unique jour de repos de la semaine pour que d'autres en retirent la part majeure de bénéfices, les patrons et les actionnaires de « certaines » entreprises.
    La question OBJECTIVE est naturellement : « Voulez-vous interdire ou permettre à davantage d’entreprises de faire travailler des salariés le dimanche ? "

     

    Ce défaut central d'objectivité des sondeurs et de leurs sondages est le résultat partiel de leur défaillance organique. Ils sont incapables de résister à leur tropisme constitutif, qui n'a plus rien à voir avec une quelconque charte de conduite ou une nostalgie des vertus d'exemplarité des chercheurs, de l'Université.
    Rester fidèle en esprit et en méthodes aux patrons qui les payent et ont pour vocation d'utiliser le sondage pour cornaquer le salarié et non pas lui donner une claire image de sa condition d'exploité, voilà leur idéal.
    Vous ne verrez jamais, ou presque, de sondage sur le montant des salaires, des retraites, des allocations diverses. Par contre, on ne vous épargnera pas l'interrogation, a minima, sur les revenus des stars du foot. Une cible commode qui peut se défendre et qui ne représente ni de près ni de loin, les salariés ordinaires. Vous ne verrez pas non plus de sondage sur le statut et les privilèges des hommes politiques, mais vous aurez droit à la « côte de popularité », un indice tout à fait indéterminé, tant il mélange de personne réelle, l'image et action politique.

    Les sondeurs ont constitué une zone d'ombre majeure, une matière noire qui n'est jamais travaillée. Pour eux, les salariés, les retraités, les chômeurs, les malades, les handicapés n'ont pas de questions. Aucune question spécifique n'émerge de leur mode de vie et des difficultés particulières qui y sont présentes. Ils ont juste droit à des interrogations renvoyant aux hommes politiques et leurs lois. Lesquelles ne sont que la traduction en langue étrangère des problèmes réels, particuliers que se posent ceux qui n'ont pas la parole. Les sondeurs ont squeezé tous les questionnaires qui pouvaient réellement mettre sur la table ce qui peut faire souci ou espérance à la majorité des français. Ils bâillonnent la démocratie et la parlent avec des phrases qu'elle ne dit pas, qu'elle ne peut dire.

     

     

     

     


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