• Agamben, où en est la nuit ?...

    Pourquoi la littérature ? A son tour Giorgio Agamben s'est attaqué à ce mystère. La grande littérature repose sur un manque. Reste à savoir lequel. Une lecture à faire avant ou après Bourdieu et autres tenants d'une définition "sociale" du langage.

     

     

    Agamben, où en est la nuit ?...

     

    Agamben, où en est la nuit ?...ans une série de conférences rassemblées en livre, Agamben s'est penché sur la littérature. Le feu et le récit, l'ouvrage, propose une méditation sur la littérature plus qu'une définition pratique, opératoire, si tant est qu'il puisse en exister une. La littérature pour les nuls, le style en dix leçons, ce n'est pas son rayon. Même si le philosophe italien glisse des inflexions poétiques et des reflets littéraires dans son écriture.

     

    Il ne défend pas une littérature d'époque, située, enfoncée dans la boue politique, s'extirpant du bourbier social. Il ne revendique pas un miroir des batailles de classes, au fond du fait littéraire. On aurait pu s'y attendre, pourtant, de la part d'un philosophe qui espère en la communauté et explicite que nous ne sommes jamais sorti d'un espèce de camp ou méthodiquement l'humanité est réduite à l'animalité, avant de devoir s'intégrer à des cristaux de silice parfaitement efficaces.

     

    De qui, de quoi la littérature est l'incarnation ? Voilà la belle question que se pose G. Agamben.

    Démarre avec une citation d'un lettré juif. Lequel raconte une histoire, une histoire sans fin semble-t-il. Un homme va dans la forêt pour exaucer un souhait. Le feu jaillit, le feu brûle, le souhait s'incarne. Plus tard, un autre revient dans cette forêt. Le feu n'est plus là mais on connaît encore les formules pour l'invoquer. Cela suffit. Le souhait est réalisé. Bien plus tard, un autre s'aventure aussi dans les bois. Il ne peut plus faire jaillir le feu faute d'être à la hauteur, d'être habitant de ce monde magique, et les formules il les a oubliées. Mais il se rappelle encore toutes les étapes, tout le rituel. Bien après, viendra un autre qui ne saura presque rien, toujours avec son souhait au cœur. Mais il dira, il racontera qu'avant existait quelque chose qui avait tout pouvoir et qu'on pouvait le faire venir avec des moyens aussi puissants que soigneusement convoqués. Alors, Lui présent, tout pouvait être réalisé, dira-t-il ce dernier homme. Ainsi la littérature raconterait la magie, le monde d'avant le monde, d'avant le verbe, quand signifiant et signifié n'étaient pas séparés, quand l'homme était la respiration de Dieu et qu'il avalait son souffle.

    La suite de l'histoire c'est l'Histoire. Fondée sur cette primitive mélancolie. Et toujours vient, part et revient cette perte, ce manque. On sent Agamben très inspiré par cette littérature comme mille et une paraboles pour Lui, sans Lui.

    La scène, des origines à aujourd'hui, c'est donc la Chute. L'homme parle parce qu'il se souvient. Parce qu'il regrette, parce qu'il voudrait se souvenir. Qu'il s'appelle Shakespeare ou Rimbaud, il écrit à partir de cette incomplétude.

     

    Mais Dieu est mort, et Agamben est une conscience de notre temps, il est bien placé pour (re) connaître ce décès. L'homme est debout sur cette Terre et ne distingue la plupart du temps que le cosmos, au-dessus de lui. Il est obligé par l'absence persistante, sinon éternelle du divin de se voir comme relativement autonome. Ainsi, Agamben, peut-être à son âme défendante, passe-t-il d'une destinée mélancolique à une destinée absurde. L'homme est avant tout, dit-il, un désœuvrement à l’œuvre. Nulle œuvre assignée, l'homme passe d'un château l'autre, châteaux de sable dressés dans les voiles de la vie. Voilà sa grande faiblesse, d'être obligé de s'inventer le cheval, le drapeau, le but et le juge.

     

    Grande force aussi : l'homme agit par et pour lui-même. Enfin, si on n'est pas dans le regret d'une tutelle divine. Nécessairement, vient ensuite le Peuple. L'homme est libre de faire chef-d’œuvre, libre de trouver les clés, de trouver, de retrouver, voire de s'inventer ses propres manques. La parole générale du poète offrira à la littérature une espèce de communauté visionnaire rêvée, le Peuple. Pour d'autres ce sera la Langue. Dans la société des hommes émergent nécessairement des mythes qui substituent le divin, tout en reflétant possiblement Lui comme son absence que la rhétorique du philosophe rend interchangeables.

     

    On regrettera l'absence d'auteurs contemporains, d'une définition de l'écriture moins centrée sur les Figures – Rimbaud, Holderlin....Agamben a fait oeuvre patrimoniale. Il entendait, dans ces conférences rassemblées, graver une définition de l'écriture qui dépasse les contingences temporelles, même s'il enjoint les éditeurs de suivre la ligne de la qualité plutôt que la courbe des ventes.

     

    Agamben s'adresse au fond. Pourquoi l'homme écrit-il ? Les règles de l'art, les classements, les batailles éditoriales, les rivalités d'auteurs ne le concernent que peu. Il cherche à unifier la fiction, la poésie, la philosophie et même la politique sous la bannière d'une obligation qui les apparie, les légitime et les force à agir.

    On peut le rejoindre sur cette marche. Sans oublier son côté Malraux, son panthéon consensuel et ses références qui ne relèvent finalement que de la croyance, ni sa logique déductive qui parfois cède devant les contiguïtés de sens ou même de sons. Comme si l'auteur voulait ajouter au mystère enclos dans le stylo, pour lui tout près du Très-Haut.


  • Commentaires

    1
    Mardi 2 Août 2016 à 11:08

    Merci pour le partage!

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