• Petite phrase

     

    La petite phrase s'est imposée dans les médias et le propos de tous ceux qui présentent et représentent. Elle cible, et croque pour le bonheur d'une époque qui n'aime rien tant que se regarder performer de plus en plus vite. Une pensée pour la pensée et la réflexion distancées...

     

     

    Petite phrase

     

    Petite phrasen les trouvait auparavant dans la presse mineure, cette presse de ragots et de futilités, attentive aux modes des puissants et à la puissance jamais dépourvue de courtisans, dont elle faisait partie. Cette presse avait pour nom Jours de France, Paris-Match, et autres magazines pour cabinets dentaires et mamies/papys gagatant doucement dans la dernière ligne droite. Ajouté au poids des photos, la petite phrase était le clou d'articles en général aussi anodins qu'une déclaration de footballeur au micro de l’Équipe.

     

    La petite phrase a fait des émules, au point de constituer une ligne éditoriale à elle seule, particulièrement dans la presse audio-visuelle. On la recense, on la compile , on l'encense et la prime. Bref, on consomme énormément de petites phrases. Le choc de quelques mots tirés le plus souvent d'un discours, d'une interview.

     

    Les auteurs ? En général des politiques, mais pas seulement. Les happy few, les patrons, etc.

     

    Pour quoi ? On l'utilise aussi bien pour encenser que dénigrer, rire ou se lamenter. Elle permet de définir en quelques mots un style, une personne, une pensée, un programme. Elle humanise tout, elle est l'anti-ennuie, elle suscite les affects. Elle est un attrape les lecteurs, auditeurs, téléspectateurs qui peuvent s'identifier à celui ou celle qui a dit cette c......rie, ou cette perle.

     

     

     

    Avec elle, on tronque, on déforme, on détourne, on dénigre surtout selon le principe de la rumeur. Nettoyez, supprimez, il en restera toujours quelque chose. Ainsi de Fillon, pas encore définitivement condamné sur tous les chefs d'accusations qu'à initiés le Canard Enchaîné, mais condamné dans l'opinion. Ainsi de Lefebvre qui lança « Zadig et Voltaire » en réponse à une interrogation sur son livre de chevet, se taguant lui-même le mot « stupide » sur le front pour des décennies.

     

     

     

    Ne vous fiez pas à sa petite taille, la petite phrase permet de démembrer tout une idéologie, tout un programme en quelques mots. Le PCF fut flingué, nolens volens, par Hollande qui d'une phrase accola les communistes à Marine le Pen...

     

     

     

    La petite phrase correspond admirablement à l'époque d'accélération permanente où nous évoluons. Elle sert parfaitement le « fast-checking », la volonté de maîtriser le flot d'information en crue, de nous tenir au courant, même si nous filons toujours plus vite à la surface du flot. Grâce à elle auditeur, téléspectateur et lecteur sont dans la même dynamique que les prescripteurs, captant un élément paradigmatique des discours et programmes. Et nous demandons à untel ou unetelle d'être ce qu'il dit en une phrase. Apothéose de la personnalisation qui nous écarte de l'essence d'un propos. Pour nous écarter dans ce mouvement d'empathie ou de rejet de la distance nécessaire, à la fois temporelle et spirituelle, pour ne pas juger sur un éclair ce qui est arc-en-ciel.

     

     

     

    La petite phrase risque de périr par où elle pèche. On ne saurait indéfiniment réduire le débat, le discours à quelques extraits saignants ou ridicules. A trop vouloir synthétiser, cibler, caricaturer on étouffe le débat, le propos, la pensée même. Les hommes politiques, les essayistes, analystes et autres manieurs de programmes et d'hypothèses en seront, en sont réduits à appauvrir, bannir la profondeur et la complexité. Un programme a besoin de cerner et mêler différents niveaux de compréhension, d'étendue et de registres pour donner à voir un problème, une vision. L'expression même se cherche en se développant, en usant du temps de parole – tps de la parole qui se construit en même temps qu'on réfléchit, donc qui est heuristique et pas seulement affirmative, synthétique. A rechercher le mot, la petite phrase, on étouffe le discours, l'analyse, le programme. On bloque, on apeure la pensée, la personne. On la contraint et l'oblige à chercher la formule saisissante ou ne n'exprimer que ce qui est sûr pour elle, et ne pourra faire l'objet d'aucune modification ultérieure, ce qui est très difficile quand on a pour fonction de faire, entre autres, des discours. La langue est incertaine par nature – signifiant différent du signifié -, et prête donc à délivrer des mots qui sont approximatifs et ne prennent leur assurance qu'au contact de l'ensemble des autres mots, ensemble fait de certitudes et de spéculations qui ne font pas contradiction mais dialectise, s'ils sont bien articulés, un propos, pour qu'il puisse déboucher sur l'ensemble de ce qu'il souhaite faire comprendre, « articuler ce qui est séparé et relier ce qui est disjoint » (E. Morin).

     

     

     

    Si elle contrarie l'esprit en mouvement, la petite phrase sape la fragile démocratie qui est encore la nôtre. Elle nous éloigne de la citoyenneté qui implique qu'on puisse considérer comme égal a priori un propos ou un autre, avant jugement rationnel, autant que faire se peut. Sans décider, sur une saillie réfléchie ou ressentie, ce qui juste et valable, sans s'appuyer sur des raccourcis ou de le bonheur d'un mot, ou au pire sur le sentiment que nous donne telle personne avant de l'avoir pleinement lue ou entendue.

     

     

     

    Malgré le danger qu'elle porte, la petite phrase permet de vendre. Une analyse, un historique, un programme ou un graphe demande distance et réflexion. Une petite phrase titille juste les sensations. On se brûle ou on adore, sans délais, sans réflexion. On rit, on pleure, on dans l'empathie, dans la présence re-produite, dans re-présentation de tel ou telle, par la parole. Le client est saisi. Et le client est roi, dans son royaume de plus en plus étriqué.

     

     

     


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