• Métropole Rouen, une démocratie à l'économie démarchée ?

    Du Métropole de Rouen aux Métropoles comme nouvelle couche de complexité et peut-être nouvelle proie pour prédateurs et gardiens consentants

     

     

     

     

    Métropole Rouen , une démocratie à l'économie démarchée ?

     

    Métropole Rouen , une démocratie à l'économie démarchée ?ormandie, début Septembre, le mois le plus tendre d'après le regretté Nougaro. Cagnard, rive gauche. A ne pas mettre un normand dehors en cette fin septembre. Il est midi passé et des brouettes. Bords de Seine, Rouen, rive gauche. Les quelques tables, alignées par la mairie avec une géométrie sans imagination pour les flâneurs fatigués, sont remplies. Un peu plus loin sort de terre le nouveau navire amiral de la gestion modèle UE des petites et grandes communes. Sur le chantier peu d'agitation. La plupart des ouvriers et chefs de chantier sont partis se restaurer. Le squelette du Métropole Rouen semble s'être écrasé sur le quai, vaincu par la chaleur. Quelques bruits de perceuse, deux extra-terrestres en combinaisons blanches affairés sur une nacelle. Impossible de les interroger, le chantier est soigneusement clos. Je tourne, prend quelques photos. Du mal à voir le futur Métropole de face. Trop haute la carcasse, trop imposante.

     

    Ça monte vite, et ça montera encore plus vite. Une cinquantaine de personnes y travaillent, bientôt cent me dit un des opérateurs sur les lieux.

     

     

     

    Pourquoi les Métropoles ?

     

    Ils ont d’abord pour but de « hisser » les principales agglomérations de notre pays au niveau des agglomérations comparables de nos voisins européens.  Les communes trop petites ont vocation d'après ce nouveau d'exercice si hiérarchique et lointain du pouvoir. « L’espace rural n’est que résiduel » a diagnostiqué un universitaire qui s'intéresse au sujet. Ce qui laisse penser que dans l'esprit des décideurs existe un seuil au-dessous duquel les communes ne sont plus appréhendées comme autonomes et décisionnaires. L'entité singulière que chacune représente devra se résigner, être dissoute dans un groupe plus grand participant, lui, de plein droit au mouvement censé être supérieur donc directeur de l'ensemble des communes.

     

     

     

    Lequel mouvement est défini par un seuil quantitatif de population principalement. Conception organiciste – les organes sont soumis au cerveau, seul à posséder la conscience et donc être apte à diriger. Les parties sont naturellement soumises, les plus petites étant carrément ignorées, car la tête ignore la fonction des bronchioles ou l'activité des poils sur ses bras. Conception partagées par Eurostat, qui prétend, avec son concept de NUTS (nomenclature commune des unités territoriales statistiques ), travailler et proposer des statistiques performatives de et pour l'UE seulement au-delà d'un seuil d'où l’on exclut le niveau local – les petites et un certain nombre de communes moyennes. On continue à les observer, noter, mais ces groupes de populations ne comptent plus, pour l'essentiel, ne participent plus, n'influent plus sur les schémas de compréhension et de décision.

     

    Un rapport sénatorial exprime l'essence de cette vision sélective en quelques mots : « « Les régions françaises sont souvent critiquées à deux égards : elles seraient trop petites par rapport aux grandes régions européennes et le périmètre de certaines d'entre elles ne correspondrait pas à un bassin économique ni à un territoire d'attachement identitaire pour les habitants. »

     

    Trop petite comment ? Y a t-il un lien entre la taille et la qualité de la création culturelle ?...Socialement, alors ? Vit-on mieux dans espaces plus importants, même symboliquement ? Les régions les plus peuplées auraient une identité plus forte que celle des régions plus petites ? Trop de définitions à tirer dans les coins, qui suscitent des réponses pour le moins divergentes des attentes de nos sénateurs, sinon opposées. Rien ne prouve que la vie culturelle ne brille pas dans nombre de petites communes, ou que l'identité n'est pas un sentiment aussi fort dans le terroir des bourgs que dans les grandes villes.

     

     

     

    Si la différence ne se fait pas sur ces thèmes là en faveur des grandes agglomérations, c'est donc que l'enjeu est autre dans le choix d'une dimension régionale comme politiquement pertinente. Ne reste plus qu'un enjeu majeur, le politique, aujourd'hui confondu pour nos décideurs avec l'économique, l'Union le prouve quasiment à chaque décision, sans parler de son lexique limité à deux mots, « concurrence » et « compétitivité ». La taille, dans ce paradigme de confrontation, c'est la puissance, la capacité d'être dominant dans la concurrence généralisée voulue par le Marché et par l'UE. On est loin, très loin de la démocratie. Celle qui ne se mesurerait pas en euros, celle qui s'attacherait à faire vivre concrètement des valeurs républicaines par des citoyens acteurs de leur destin dans les bourgades comme dans les mégalopoles. Pour que le vivre-ensemble soit effectif, qualité de vie dans une égalité réelle au service d'une fraternité vivante.

     

    Dans la réalité, on a le Métropole, un instrument de plus dans la compétition que doivent suivre sinon impulser les institutions. Sa construction doit reprendre, amplifier la « concurrence » et la « compétition » généralisées serinées comme des mantras dans le document prospectif de l'UE. Rien moins qu'un bréviaire pour les peuples. Tu feras le lit du Marché, tu transformeras les territoires et te modèleras toi-même en acteur de la guerre généralisée de tous contre tous. Amen. 

     

     

     

     

     

    Les multinationales se partagent deux kilomètres de quai, au bout duquel va trôner le Métropole. A Rouen, elles font partie du paysage, de toute façon. Sur chaque chantier d'importance ouvert dans la ville ou dans ses banlieues, on tombe sur leurs grandes affiches et leurs logos.

     

    Le fief de l'assemblée Métropole, elles le sortent de terre à toute vitesse. Ceux qui y siégeront ne sont légitimés par aucun suffrage universel jusqu'à présent. Ils ne seront pas élus avant 2017, sinon plus tard. D'où l'urgence.

     

    Ce qui n'empêche pas la situation de demeurer troublante, pour ne pas dire plus, au regard de la loi, puisque ces gens engagent au nom du Métropole Rouen des sommes énormes avec une belle prodigalité, dans divers secteurs absolument essentiels, naturellement.

     

    Ainsi 7 millions d'euros pour dresser un chapiteau cylindrique énorme peint d'un violent dégradé de bleu, le Panorama XXL. Le quai qu'il sature est, lui, dans les marrons et gris, ceux du temps et de l'histoire. Mais il était urgent de planter là cette espèce d'attraction de foire, dont la laideur criarde écrase la perspective du quai rive droite. Le Métropole s'est engagé aussi pour implanter à coups de millions des espèces de labos de pointe, des start-up médicales, au cœur du service public hospitalier. Évidemment ces labos ont autant d'intérêt pour le soin quotidien hospitalier qu'un tutu pour un cheval de bois. Mais avec beaucoup de com et le soutien des canards locaux, tous bien dégagés au-dessus des oreilles, on tisse de l'illusion au kilomètre pour le gogo.

     

    Aujourd'hui, ces responsables engagent encore une fois l'autorité publique, celle qui repose normalement sur la légitimité électorale base de la démocratie, et font diligence pour construire le palais, le bâtiment qui les installera dans le confort auxquels ils sont habitués. Dans le cocon qui saluera de sa présence leur notable notabilité. Présence qui gravera dans la pierre, croient-ils, la légitimité qu'ils ont contournée et l'argent qu'il jettent à belles poignées pour leurs intérêts qui ne coïncident pas forcément avec l'intérêt général, et encore moins le réel. Ce réel en forme de statistique du chômage, en Normandie un des taux les plus élevés de France. Ce réel qui piétine devant les centre de restauration et accueil pour les sans-logis saturés. Ce réel qui à chaque coin de rue commerçante de Rouen se fait homme ou femme, enfants parfois, la main tendue, la tête branlante et les yeux perdus.

     

     

     

    Qu'importe. Ce bâtiment et le Métropole qu'il incarne, c'est la modernité, il enterrera très vite tous les grincheux, les gagne-petits de la polémique. A moins de cinq mille euros, c'est bien connu, on n'a que des cons comme interlocuteurs. Et, in fine, ce sont les élus qui incarnent la démocratie comme le disait si bien à Libération le maire de Rouen Yvon Robert : «Les maires sont des élus, ce sont eux qui choisissent le président de la métropole. Ce n’est pas un manque de démocratie !». Non, c'est juste une démocratie en comité restreint.

     

    Si Morin et la Région ne décident pas d'éteindre l'enthousiasme devant ce coup fumant, hop, le tour est bientôt joué. Gravée dans le ciment et la pierre, la pérennité de l'institution nouvelle, pourtant définie comme une « expérimentation » par Hollande. Énième promesse d'un président invertébré, sur laquelle, de toute façon, même le plus petit téléphoniste du Métropole Rouen s'assoie. A hauteur de plusieurs millions d'euros, quand même. Un peu cher, le caprice.

     

    Et si quelqu'un doit remettre les compteurs financiers à l'équilibre, ce ne sera pas les élus du Métropole ou d'ailleurs. Le président du département – feu le département, peut-être, on ne sait plus très bien avec toutes ces lois faites dans la nécessité pour être défaites trois jours plus tard – a déclaré qu'il fallait se serrer la ceinture pour remplir les caisses. Pas trop difficile d'imaginer qui se serrera la ceinture. Président du département n'est pas PDG du Métropole, mais il n'est pas interdit de penser que la logique est la même. Un vrai bonheur, ce crédit revolving citoyen.

     

     

     

    Il y aurait eu peut-être une solution pour ce qui est du coût du Métropole, si on avait cherché ne serait-ce qu'un peu à faire des économies. Reprendre un bâtiment vide, plusieurs centaines mètres carrés, apparemment solide, à trois cent mètres de là, à vol d'oiseau, Avec une somme d'argent incomparablement plus faible, le Métropole aurait eu son bâtiment. Et s'il n'y avait pas assez de bureaux, les administratifs auraient continué à occuper quelques-uns des locaux où ils travaillent déjà, en ville. Si nécessaire, on aurait pu ajouter une aile ou deux à l'ancien, voire le relooker un peu pour satisfaire les pulsions esthétiques de nos amis à écharpe.

     

    Évidemment, ça aurait été moins classe, moins digne de la plus petite zone métropolitaine de France. Et peut-être même que nos élus non-élus se seraient retrouvés avec de l'argent sur les bras. Des coups à se faire dépouiller, avec toute cette racaille qui traîne en ville.

     

     

     

    Je longe la façade et la dizaine de voitures garées. Un des véhicules a la porte avant ouverte. Un homme est affalé dans le siège. Trente à quarante ans, cheveux clairs, coupés court, teint mat, un visage plutôt poupin, bien nourri. Le regard sombre dément l'apparence bonhomme.

     

    Il va me raconter une histoire délirante. Sans doute avait-il bu.

     

    Il est sous-traité, comme tant d'autres sur le chantier. Au fait des pratiques. Désabusé ou je m'y connais pas. Chef de chantier, interface entre le terrain et les cols blancs qui lui content ce que les gros cigares là-haut et les élus ont combiné, décidé, imposé. Le propos est à prendre au conditionnel, naturellement. Le bonhomme est fatigué, goguenard, bref on est dans l'allégation, mais j'écoute, je suis l'oreille béotienne.

     

    Sa boite ne vient pas de Normandie. D'ailleurs la plupart des véhicules ne sont pas immatriculés dans ce département. Comment ça marche, comment des gars se retrouvent sur un chantier comme ça ?

     

    Appel d'offres. Candidatent les grosses boites, multinationales. En l’occurrence Sogeia. « Sogeia, c'est Vinci. On le voit partout ici, et pas que lui ».

     

    C'est là que nous entrons dans l'hypothétique. Comment ça se passerait ? Simplement. De gré à gré, en quelque sorte. Les huiles publiques font un appel d'offre. Les grosses boites examinent les appels. Les moyennes ne regardent même pas. Elles sont dans la cohorte hiérarchisée qui part des multinationales, vaisseaux amiraux, jusqu'au soutiers, les petites boites. Voix au chapitre, donc, uniquement pour les multinationales qui envoient leurs cadres observer, analyser et ce qui est dit et les souhaits sotto voce des élus, avec les « externalités » positives ou négatives. Le dit et l'implicite. Après, conte José, viendrait le temps des réunions des dirigeants exécutifs de multinationales. Les cadres sup à la manœuvre décideraient de quelle multinationale va prendre l'appel d'offre, le marché, le travail et les bénéfices corrélatifs attendus. Tout ceci serait soigneusement calibré, avec une fine répartition des proies suivant la taille et l'appétit de chacun en tenant compte, bien sûr, de qui s'est déjà servi, ou pas, où elles en sont dans leur prédation « libre et non faussée ».

     

    Tractations qui donneraient lieu à des compensations, de petites douceurs, pour les cadres qui pourraient emporter le morceau. Libéralités qui seraient habituelles, à l'intérieur du cadre général de marchandage soigneusement régulé qu'organiseraient ces multinationales. On irait jusqu'à quelques dizaines de milliers d'euros pour avoir la certitude que le marché est bien attribué à qui de droit, si on peut dire.

     

     

     

    Une fois la grosse galette mise en « concurrence » entre quelques boites choisies par les négociations précédentes qui se battront pour le marché, il s'agirait de convaincre le responsable des opérations, côté client, côté intérêt général. On approcherait l'élu et/ou le responsable du dossier dans l'institution concernée. L'élu qui serait en responsabilité, en pointe sur le dossier, et l'élément « technique » - celui qui gérerait la réalité en termes de bâtiments, de surface, de coûts -, à leur tour seraient attendris. « Une baraque refaite à neuf », voire « une baraque clé en main », ou tout autre cadeau qui sensibiliserait l'élu aux arguments de telle ou telle entreprise. On aurait là un cadre général, un pattern de régulation universellement pratiqué avec des variantes locales ou de circonstances. Une corruption ordinaire.

     

    Pendant ce temps, le président du Département, P. Martin (Paris-Normandie - 9/11/2016) promet de la sueur et des larmes aux Seinomarins et surtout des privations, prétextant « l'absence totale de marge de manœuvre ». Lui et ses happy few à écharpes n'arrivent pas à équilibrer le budget, manquant de recettes, paraît-il.

     

    Il y aurait tout lieu d'enfin instaurer une taxe locale pour les gros travaux et les mégas entrepreneurs multinationaux qui serait versée sur un compte solidarité en direction des communes, d'une part et d'autre part faire un « plan Marshall » pour tenter réellement d'arrêter, d'inverser la crue des fermetures/délocalisations/licenciements, des emplois kleenex, des salaires écrasés. De traiter transversalement – Régions et Départements associés – les problèmes transversaux que sont le chômage et les rémunérations à la baisse pour cause d'emplois de plus en plus partiels et précaires. En mettant toutes les richesses à contribution forcée et drastique, à commencer par les élus et patrons, dont les rémunérations oscillent entre indécent et obscène.

     

     

     

    Non, chacun joue dans son petit « fief » selon l'expression des produits journalistiques dérivés des pouvoirs. Cette séparation des institutions et moyens corrélatifs, en l’occurrence, permet d'occulter les gaspillages les plus criants, et de desservir encore la population en lui faisant supporter les caprices de quelques-uns, les appétits d'une poignée et la dérive générale de la République, des institutions locales comme nationales.

     

     

     


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