• Le Pouvoir sans qualités

     

    Il est dans la nature du pouvoir d'être hiérarchique. Le pouvoir s'exerce sur. Le pouvoir jamais ne fait jouer sa puissance pour se dessaisir. Cette naturelle inclination du pouvoir à la hiérarchie construit une société frelatée, une humanité contrefaite. 

    Il ne promet pas d'être porteur et vecteur de qualités démocratiques élevées, d'être une forme choisie par une Histoire singulière et des aspirations particulières d'un peuple. Non, il est acteur aveugle, soumis à la force de qui le prend. Il a besoin juste d'un peuple sans qualités, prêt à toutes les aventures...

     

     

     

     

    emeure la conscience aiguë de l'obstacle que représente le Pouvoir. Le Pouvoir, c'est lui qui a enterré les unités, brisé les alliances, démembré les programmes, renvoyé encore au silence les plus lucides peut-être, en tous cas les plus dépourvus de pouvoir. Le Pouvoir est une voix qui n'appelle qu'un écho, une voix qui ordonne et ne supporte qu'une réponse. Le Pouvoir appelle des héros, le Pouvoir exige l'impunité, le Pouvoir ne veut pas de remise en cause, le Pouvoir fait ce qui est bon pour lui, non pour les autres, sauf s'il rencontre un autre Pouvoir de puissance égale ou supérieure.

     

     

    La République est aujourd'hui divisible en autant de monarchies qu'il y a de puissances manifestes, agissantes, comptabilisables en euros, signe sanctificateur dans le monde Pouvoir. Par sa puissance fondamentale l'euro est l’Être lui-même, l’Être de tous les êtres et rend singulier celui qui le possède. Ce qui est quantité, par son extrême puissance quantitative même, accède et fait accéder à la qualité. La qualité, c'est le fait d'avoir des attributs qui ne relèvent pas ou plus de la chose qui est juste dénombrable, normalement. Dans l'humanité contrefaite où nous vivons, les choses sont gens et inversement. Ce passage du quantitatif au quantitatif est le signe évident d'une obsolescence en cours de la République. La République repose sur des valeurs. Valeurs collectives qui reprennent la singularité de chacun, la qualité de chaque être humain dans notre pays et les renvoient à chacun en préservant la singularité, étouffant les hiérarchies potentielles, valorisant la solidarité sans laquelle est une société se délite.

     

    Le Pouvoir, l'euro et ses possédés, inaugure la promotion du quelconque. C'est le destin de l'argent et de ses enfants de vouloir la fin de la collectivité des singularités qu'on appelle République. Il n'accède lui-même à l'existence que quantitativement. Il ne compte qu'en tentant non de faire société mais ordre. Les valeurs sociétales comme la singularité de chacun lui sont étrangères. Tout ce qui est euro, basé sur l'euro, est fondamentalement étranger à toute collectivité puisque sa nature profonde c'est le nombre. Plus il a, plus il est.

     

    Laquelle valorisation du nombre entraîne la chute du singulier, de la qualité des êtres, et de leurs productions. C'est tout être social qui voit sa vie, ses valeurs et même sa vision de la société transformée par la quantitatif euro et ses normes le nombre, le compte, la possession. Le monde devient plat, sans paradigme aucun. Les voisins, les frères en Républiques, on ne les voit plus, sinon comme des pierres plus ou moins grosses. L'horizon n'est pas strié de liens mais d'obstacles uniformes qui grossissent, changent de place, se rapprochent ou s'éloignent. Pour qui se tient entre les pierres, il n'y a toujours qu'une place. S'il s'avise de bouger, une pierre l'écrasera. C'est un monde minéral, froid et où chacun persévère en soi, pour servir, en rêvant de devenir pierre à son tour.

     

     

    Les conséquences concrètes dans le monde réel sont multiples. La vision modifiée des humains asservis contrarie la claire conscience de ces changements multiples et permanents qui renforcent le Pouvoir toujours et fige la société des hommes.

     

    Par exemple, l'éclosion, dans ce monde à l'humanité modifiée, de toutes ces écoles de pensée « pragmatiques », qui veulent nous analyser et nous penser comme des choses, nous construire un paradis réifié où le sentiment – manifestation essentielle de l'humain – sera calibré. Une valeur d'être certifiée cent mille, cent millions, cent milliards d'euros, voilà qui ne mourra jamais, sauf si ruine.

     

    De même, la panne de l’ascenseur social. L’ascenseur social est une notion presque obsolète qui associe à valeurs humaines – talents, compétences – une capacité à obtenir de la reconnaissance, une juste dignité. Aujourd'hui, la stagnation, voire la régression en valeur absolue du signe Humanité (dans notre monde inversé) que porte chaque anonyme – salaire, retraite, prestation -, libellé en euro, signe l'exigence des Pouvoirs. La chose, l'existant dépourvu de Pouvoir doit rester en place, à sa place. Il est libre de faire, mais ne doit surtout pas agir. Il est libre de rester où il est, ou de s'écarter et tomber. Pas de pouvoir, pas d'existence. Seuls les Pouvoirs progressent, traversent, gagnent plus de pouvoir.

     

    Tout se passe comme si nous étions revenus aux temps de la Rome antique. La condition d'esclave est nôtre. Nous ne pouvons, sauf miracle, faveur extrême d'un Pouvoir, mansuétude de la Fortune, accéder au rang d'Homme. Nous sommes empêchés d'agir en permanence, car nous ne sommes rien. Comme le Roi était de nature divine, les Pouvoirs sont des Êtres et nous sommes des existants. Les Pouvoirs accroissent leur puissance, toujours en dernière instance manifestée en euros, peuvent changer de place, de statut, d'activité, d'image. Nous ne pouvons pas bouger, littéralement. La possibilité d'effectuer les changements accessibles à tout Pouvoir nous est retirée. Figés, assignés, nous sommes. L’ascenseur est brisé, mieux, démonté.
    Car aux yeux des Pouvoir nous n'avons pas d'existence, nous sommes la masse, l'informe chose qu'il convient de ligoter car son poids sans existence comptabilisable en euros, est une inconsciente menace au règne, à l'existence, à la vie des Pouvoirs, pire, du Pouvoir des pouvoirs, l'euro qui adoube, voire sanctifie.

     

    Ainsi, tout est pensé pour saluer, amplifier, pérenniser le Pouvoir. Depuis les bulles d'oxygène dans la Chambre des Députés, jusqu'au trekking himalayen à vocation formatrice des sous-êtres profitables qu'utilisent McDo ou le Crédit Agricole.

     

    De cette nouvelle monarchie, il sera plus difficile de se défaire. Le Pouvoir trouve aujourd'hui ses germes dans la conscience des sous-êtres, qui le reconnaissent, le vénèrent et l'aident au mieux. Le Pouvoir a coupé tous les ponts, ou presque, qui nous reliaient à la conscience de notre vitale autonomie. Ainsi, pour des êtres qui souhaiteraient pénétrer le Pouvoir, capter ses attributs et subvertir tout cela, il faudrait se battre à l'extérieur et lutter à l'intérieur contre l'image du monde plat que le(s) Pouvoir(s) imprime(nt) sur rétine en permanence.

     

     

    Mais. Les humains ont une capacité de résistance et d'adaptation inouïe, contrairement aux choses.

     

     

     

     

     

     

     


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