• La voix du perroquet est sans issue

    Où reviennent les années 70 avec nos espérances, notre chemin qui fut loin de la carrière, de la fortune. Et d'autres choses qui font un pont, fréquentable par certains.

     

    La voix du perroquet est sans issue

     

    La voix du perroquet est sans issuee qui a brisé l'époque, notre époque, ce n'est pas tellement la crise, ou la fin évidente des ressources, ou la désagrégation des partis, ou la corruption massive des politiques. C'est la fin du rêve.

     

     

    Rappelez-vous, les années 70. On imaginait un monde sans travail, sans flics et il ferait bon vivre ensemble. On tentait des choses à l'usine ou en Ardèche. On prenait chaque jour debout, incertain mais debout. Impossible même d'imaginer qu'entre le cadavre de 68 encore chaud, nos nuques raides et ce souvenir d'un nouveau monde à fouler, viendrait une cohorte de crétins missionnés pour moquer, dénigrer et vendre à longueur de démissions télévisuelles.

     

     

    On poussait derrière les hommes et l'alternative; certains poussaient vers des politiques à gauche de la notabilité et de l'inclination marchande croissante. D'autres encore, j'étais dans le lot, cherchaient vers un sentier entre tout ça, entre dope et tracts. On supportait pas les costumes, les notables de provinces, les idéologues carrés. Bref, tout ce qu'on sentait remonter comme du vomi sur les ombres de mai. A cause de cette rage vigilante, les idées remuaient toujours, les films les relayaient, des films tordus, tordant et pas foutus de casser un box-office, genre Themroc, l'an 01, Harold et Maude, Cria Cuervos, Derzou Ouzala...Des idées qui malaxaient un potage moitié exploitation, moitié espérance. On le voulait notre avenir, même si on essayait peu, finalement, de l'accrocher. La gueule de bois n'était pas achevée et déjà les mites venaient dévorer ce qui avait levé.

    Voilà ce qui nous travaillait au fond, et même les notables se faisaient relativement petits. Certains - peu dans ma province du midi moins le quart où les hiérarchies et les patrimoines, l'argent, étaient enracinés - avaient senti l'essence de cette chose qu'on appelle 68 et ils ne pouvaient pas encore se résoudre à fermer le cercueil sur nos visages rêveurs pour revenir à leurs comptes et leurs faits de princes. On bénéficiait, sinon de respect, d'une forme de tolérance, de prise en compte craintive de nos existences. Après tout, le grand chambardement n'était pas si vieux. Version optimiste, on pouvait appeler ça un sourire presque bienveillant à l'égard du peuple ouvrier et/ou marginal voué à la casse. Bref, ils venaient d'en prendre plein la gueule à peine quelques années avant, ce qui lestait leur arrogance. D'autant que Mongénéral lui-même était parti momentanément se mettre au vert, sinon à l'abri.

     

     

    L'idée, non même pas l'idée, la conscience de nous-même nous tenait. Elle tenait le prolo et l'intello et même le paysan. On était, on n'était pas chair à, ni volant de, tout ça ne faisait pas partie de la conscience collective. On nous tirait vers l'individu, mais on était encore des personnes, pas les anonymes des masses menaçantes hantant l'imaginaire des responsables actuels. Malgré la foule déjà solitaire, on regardait, on entendait, on était des gens, non pas des substituables perdus dans d'infinies statistiques. Et ces être pensants se permettaient, non se savaient capables. Voilà, nous étions les héritiers de Mai, une génération capable de tout et sans mendier de marchepied vers quiconque. Nous nous valions les uns les autres et nous les valions tous, qu'ils soient politiques ou patrons. Nous pouvions tout. En particulier imaginer que tout était transformable.

     

    Il était légitime d'être incertain, d'être un peu à l'ouest, un peu fantaisiste et feignant. Foutraque dans tous les sens qui emmerdaient les têtes de turc indiscutables de l'époque, flics et patrons qui faisaient à juste raison profil plutôt mineur. Nous étions la réalité glorieuse et multiple face aux zombies à costards qui piaffaient déjà pour gouverner au service des gringos, jusques dans l'intime de nos ébats et débats.
    Le fantôme de la révolution n'avait pas de patrie, ni de ville, ni de conteur, ni d’État attitré. Il pouvait pousser chez le voisin, chez toi, suffisait d'avoir une envie et un bout d'espérance. Simple comme un plant de shit.

     

    On ne se levait pas en espérant du boulot, un entretien de recrutement réussi.
    On emmerdait la canaille patronale, rien à foutre des jobs qui étaient déjà des intérims merdiques, avant que ce terme dépourvu de sens ne devienne une violente réalité. Quelque chose allait se produire dans ou au-dessus de nos vies et quelque stairway nous conduirait dans un quartier absolument inconnu, vers une expérience magique, égalitaire et bluffante. La vie n'était pas l'existence, elle aspirait à tout, parce qu'on était prêt à tout dans nos têtes. On se voyait horizontaux et empathiquement reliés. L'idée même de défonce durant les heures de boulot relevait d'une compensation raisonnable, comme la recherche de la fortune signait la plus évidente et méprisable grossièreté. On rêvait, on évitait les artères trop fréquentées, les mailles et les lames du monde. A plein temps. Après tout, quel est l'insigne valeur comme le premier devoir de la République, pour parler la langue irradiée de nos responsables dans la pantomime républicaine ? Liberté. Pas la liberté du libre-échange d'esclaves, la liberté comme justice, comme porte ouverte, comme dignité pour ceux qui en sont toujours privés.

     

     

     

    L'essentiel de ce qui s'est passé depuis plus de trente ans, c'est la déconstruction méthodique, macabre et criminelle de ce rêve d'être vivant, incertain et en quête. Définition potable de l'être humain, pour nous qui « ne savons rien, même pas l'heure de notre mort », comme l'a écrit le grand Borgès.

     

    A mes yeux, qui ont surtout vu et vécu l'immédiat après-68, l'explosion et la période consécutives ont constitué indéniablement un moment de recherche d'humanité par elle-même et une tentative pour revenir collectivement aux fondements de la République, telle qu'elle demeure inégalée. C'est ce parfum, il me semble, qui a flotté à la création des Occupy, des Nuit Debout et de ce qui viendra ensuite, si Nuit Debout ne réussit à gripper profondément le système et débugger les imaginaires massivement intoxiqués par les drogues de destruction que sont le pouvoir, l'argent et leurs chevaux de Troie médiatiques.

     

     

    Ils ne comprennent pas, ils ne comprennent rien, nos « représentants », à ce qui se passe, comme à ce qui s'est passé. Je veux dire par là qu'ils ont une espèce d'appréciation hors-sol, un scan intellectuel absolument inadéquat, desséché.

     

    Même le plus à l'écoute, le plus responsable ne comprend pas. Il faut leur dire que nous n'attendons plus leurs solutions, parce qu'ils ne peuvent trouver de solution, de même qu'un perroquet ne peut parler. Et que même si par extraordinaire ils sortaient de leur démence gestionnaire, sécuritaire et financiaro-prioritaire, ce serait en vain. Nous n'écouterions pas.

     

    Qui voudrait écouter le plus petit maire, le plus insignifiant secrétaire d’État porteur d'une écharpe qui nous étrangle ? Nous n'écoutons pas, car ils n'ont pas la voix que nous pouvons entendre, leurs mots sont incompréhensibles, insupportables.

     


  • Commentaires

    1
    Mardi 2 Août 2016 à 11:27

    Merci pour le partage!

    • Nom / Pseudo :

      E-mail (facultatif) :

      Site Web (facultatif) :

      Commentaire :


    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :