• Je ne sais quoi sur vraiment presque rien

     

    Quelques réflexions sur les guillemets, tirets et autres petits cailloux dans l'inspiration de l'auteur, ou signes d'une fièvre dans son roman.

     

     

    Je ne sais quoi sur  presque rien

     

    Je ne sais quoi sur  presque rienes guillemets montraient la parole, entouraient la parole au présent, dans un roman. Ils la désignaient comme essentiellement différente, dans le cours de la narration. Aujourd'hui, l'auteur remplace les guillemets par un tiret, ou rien, comme je l'ai vu dernièrement dans un ouvrage de Gallimard, maison qui préfère pourtant ménager la ménagère de moins de cinquante ans, quitte à blesser l'avant-garde.

     

     

    Serait-ce la fin du comme si ?
    D'un côté il y avait le monde, les murs et le paysage que sont le texte du roman, de l'autre les propos entre guillemets, séparés, dans leur bulle de présent éternel. Comme s'ils étaient vivants et le reste mort. Maintenant toutes les barrières, les distinctions se fondraient dans la fiction totalisante. Tout est récit, tout est fiction, plus besoin de singer une sorte de scène du muet avec des panneaux indiquant ici les humeurs, les événement, ici les paroles, paroles comme fragments de réel.
    Ou peut-être s'agit-il d'un symptôme dans le changement général du roman, le déclin du récit au passé simple, avec les temps corrélatifs de la narration. Les guillemets n'auraient plus à signaler une intrusion du présent, du vivant, dans la fiction. Il n'y a plus de vivant, ou le vivant du récit se défait de son habit de représentant.

     

     

    J'avoue n'avoir pas tranché pour ma petite entreprise, et je suis toujours un peu mal à l'aise, surtout en ce moment où je creuse dans un roman avec pas mal de dialogues.
    Les guillemets, le tiret, comme ancien monde où les choses étaient tranchées. La main était toujours au récit, les mises en décor et les humeurs persistaient dans leurs différences, les intrusions de paroles exemplifiaient, faisait nez rouge sur l'auguste visage de la fiction qui se déployait, majestueuse. Malgré les ruades des nouveaux ou des post, cela persistait, à mes yeux du moins.

     

     

    Le rien, comme signe d'une fiction décomplexée. Plus de roman, plus de dialogues, un gigantesque discours monadique, un fleuve où s'ébattent les mises en décor, les dialogues, les pensées et les ruminations de l'auteur, toutes avec le même maillot de bain. Tout ça fait ventre dans la fiction absolument compacte. La pendisse est définitivement coupée. On ne joue plus à faire semblant avec les interlocuteurs, les échos, l'immédiateté du présent dans la parole. On s'éloigne encore plus de l'illusion réaliste, à moins que cette mise au point rapproche justement du réalisme nouveau qui voudrait le réel comme une illusion générale et sans aucun guillemet, lui. Le roman actuel dans ses changements de soupente serait conforme à ce réel, tel qu'il est.

     

     

    Ma tête dit oui, mon cœur dit peut-être. La fiction que je développe, comme la précédente l'était - Web voyage (ELP éditeur), plutôt dans un registre symbolique - résiste de tout son réalisme. Mes personnages souffrent et se battent. Je le sais, j'ai vu leurs équivalents réels. On ne barbote pas dans les fugaces sensibilités du narrateur omniscient, même en version contemporaine planquée derrière des personnages marionnettes, ou des héros transparents pour faire croire qu'il n'y a plus d'auteur je-sais-tout, à l'ancienne mode, fabriqué tout au stylo.
    Et pourtant, l’enchaînement, la durée, la coloration des actions, le profilage des propos, l'ironie et le drame, la folie et l'atonie, c'est bien moi qui.

     

     

    Le guillemet ou le tiret manifesteraient la persistance de la référence, de cette dernière défense du récit/roman face à la parole, du réel face à la fiction. Mettre la parole dans le fil du récit, semble être l'aboutissement logique du discours indirect et certains le font, je l'ai dit.

     

     

    Mais la nature « sociale » de ce que j'écris en ce moment m'incite à conserver guillemets, tirets et autres modalités d'une séparation récit/discours comme un sorte de respect. Respect pour l'existence illusoire de mes personnages issus de personnes réelles. A qui je ne ferais pas l'offense d'immerger trop profondément leur propos rapportés dans une fiction totalisante. Il faut bien sauvegarder les apparences. Non, je n'ai pas envie de me demander si un roman social est un roman comme les autres, à mes yeux. Parce qu'il faudrait je revienne sur ce que je peux lire comme roman sociaux d'aujourd'hui, sur le social tel qu'ils le (re)présentent, sur l'implicite barrière que j'établis entre le roman et le réel et sur le pourquoi j'établis cette barrière, tout en me forgeant les armes pour la démolir, sans cesser de lui rendre hommage. Oui, je n'ai ni le goût, ni l'age pour écrire ma biographie.

     


  • Commentaires

    1
    Mercredi 16 Septembre 2015 à 15:49

    Bonjour,

    Intéressante réflexion. Ce que j'apprécie en particulier, c'est la notion de respect, trop souvent oubliée par les auteurs actuels qui n'interrogent plus leurs limites. Merci à vous pour ce texte.

     

    2
    Mercredi 16 Septembre 2015 à 20:24

    Merci Lieven. Effectivement, les limites...Quête qui s'exprime à l'intérieur d'une histoire familiale et personnelle. Lesquelles m'ont donné des limites que je croyais longtemps infranchissables, sur ce que j'étais alors et ce que j'écrivais. En même temps, mon histoire m'a insufflé le courage et l'état d'esprit pour repousser toujours mes/les limites, et sans arrêt les rechercher. Pour un mal, il y aurait un bien, semble-t-il.
    Quoiqu'il en soit, je fais avec.

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