• Henri Roorda, l'écriture au stade terminal

     

    Henri Roorda a fait un petit bouquin de réflexions avant d'en finir avec ce bas monde. Nous qui vivons encore, un siècle plus tard, nous pouvons le lire comme un ami trop tôt parti.

     

     

    Henri Roorda, l'écriture au stade terminal

     

    Henri Roorda, l'écriture au stade terminaleprise ici de la méthode de "critique concentrée" utilisée pour Don DeLillo. Elle se focalise sur une page d'un livre lu dernièrement – ce qui ne veut pas dire paru dernièrement.

     

    Certifier son suicide par l'écriture, ou assurer ses écrits par le suicide ? La question reste posée. Et impossible de demander à l'auteur de Mon suicide de trancher, puisqu'il a mis fin à ses jours. En nous laissant ce petit livre qui écarte les voiles et les précautions, plus vraiment de mise puisque l'auteur arrive au bout de son chemin.

     

    J'ai déposé une page, ci-dessous, mais j'aurais pu prendre à peu près n'importe laquelle dans le texte d'Henri Roorda, et probablement certaines dans le commentaire que fait  l'ami qui l'a publié.
    Elle illustre le subtil effort de l'auteur pour faire correspondre singulièrement les mots, d'une telle manière qu'on appelle encore style, malgré la cohorte grandissante d'auteur qui raconte une histoire sans aucunement prêter attention à l'agencement de leurs mots. La phrase flirte souvent avec l'aphorisme, dans une forte sobriété relevant bien haut le sens. Sans ces effets oxymoriques qu'on trouve souvent dans l'aphorisme. Sur la longueur d'une phrase, la force est moindre que celle d'un véritable aphorisme. Sur l'espace du livre, on y gagne une puissance qui nous entraîne sans en rajouter.

     

     

     

    L'homme qui écrit est désabusé. Il se veut lucide, mais transpire la mélancolie. Au point qu'il s'expose sans le vouloir, peut-être, à la contradiction dès la première ligne. Le mensonge par omission, qu'il classe dans les « mufleries », il le salue en fin de page. Le mensonge du banquier, les « pensées cachées » font partie de la force qu'il faut pour gagner de l'argent.

     

    Mais cette apparente contradiction n'est qu'un vice de forme. Elle salue la continuité exponentielle de ce même mensonge. Tromperie vénielle les cachotteries de l'épicier qui vous vante son produit « naturel » acheté au marché d'intérêt national la veille. Elles débouchent en bout de chaîne sur le mensonge industriel élevé au rang de morale, les manipulations à millions du banquier. Ainsi remontant les couches sociales, le mensonge  se déploie au sommet, se polit, s'épanouit comme mode d'existence.

     

     

     

    Ainsi va la vie, « , l'homme normal est celui qui, du matin au soir, ne pense qu'à de l'argent ».

     

    Et ce monde dont il pointe les failles, les impasses, les fondrières, il lui convenait de moins en moins, à Henri Roorda. Et pour tout dire pas du tout, lui qui aimait l'élégance de la pensée, comme de la vie. Aristocrate perdu dans le dédale des boutiques, il n'avait rien des héros de Jack London, si ce n'est d'être déboussolé dans ce monde où les hommes tranquilles, sans histoire, sans passion,  sans trajectoire ni qualités, comme les hommes d'argent, font de la vie une longue colonne débit/crédit.

     

     

     

    Il songea donc à en finir, au point de livrer son petit livre Mon suicide; comme un testament. Post-mortem, il fut publié par son ami Edmond Gilliard. Il date de presque un siècle, mais sa vision des banquiers et de bien d'autres choses, notamment la langue, demeure. « Les mots n'ont plus de race. Ils sont devenus inaptes à toute construction, à toute production de style ». Il frappe et ça résonne, peut-être de plus en plus, d'ailleurs.

     

     

     

     


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