• Finalement, la neige remonte toujours vers le ciel

     

    Le festival des Voix Vives vient de se terminer. Poètes et éditeurs se sont retrouvés à chercher et faire vivre l'Arlésienne de la littérature, que tout le monde prétend connaître, défendre et populariser...Situation contrastée d'un genre par définition mort. Et vivant quelque part, à côté de qui veut.

     

     

     Finalement, la neige remonte toujours vers le ciel

    Finalement, la neige remonte toujours vers le ciela semaine du 19 au 27 juillet, s'est déroulé à Sète le festival des Voix Vives qui rassemble plus de soixante poètes venus de France et des pays méditerranéens, pour célébrer et faire vivre notre langue si nourrie d'H(h)istoire(s) et de sensibilités. Et j'ajouterais tenter de lui rendre son humanité désagrégée par la communication, le commerce et la politique.

     

    Une semaine, les mots volent dans les rues, ravivent l'immense conversation souterraine irriguant la ville, nourrissent les consciences, captent les nodules en équilibres sur le temps, que nous sommes. Des hauts, des bas, des puretés, des singeries, des auteurs, des communiquants. A chacun de sortir le moment, la parole de sa gangue.

     

    En petits comités, en plein air, ou sous la tente, les auteurs lisent, commentent, généalogisent leurs écrits. Les petits éditeurs sont présents pour montrer leur artisanat.

     

    Légère suspension de la gravité au-dessus des eaux glacées de la rationalité, des logiques de distinction et de visibilité. On attaque les moulins pour de faux et ça devient vrai, une semaine durant. Un petit monde d'auteurs, d'éditeurs et de lecteurs fait vivre ce festival et les autres, les salons, les rencontres. La poésie s'écrit, la poésie se lit, elle n'est pas en voie de...

     

     

     

     

     

     

    Deux groupes éditoriaux produisent et vendent autant que tout le reste du secteur éditorial français, selon les chiffres 2018. Parmi les éditeurs dans le classement des profitables, beaucoup appartiennent à Hachette, groupe industriel de l'édition lui-même possédé par Lagardère, multinationale au capital boursier tenu à 66,59% par des investisseurs institutionnels étrangers, dont le taux de croissance est supérieur à 3%/an.

     

    On ne rigole pas, attention, mondialisation. Hyper-concentration. En 2016, 88,9% du C.A des cent quatre premiers groupes et indépendants français (5,18 milliards d'€ C.A), était réalisé par les dix leaders.Cinq ans plus tôt, en 2 012, la part des dix plus grands groupes n'était que de 77,1%.

     

    Le C.A Théâtre et Poésie représentait, également en 2016, 0,3% du C.A. de l'édition poésie/théâtre et 0,5% des exemplaires de livres vendus. Désormais la place, en avant ou en arrière, d'un livre en rayon dans une librairie se calcule au centimètre.

     

     

     

    E pourtant la poésie.
    Si elle pointe encore au catalogue des éditeurs industriels présents « à l'international », c'est comme fantaisie, pendentif social signant une culture certaine, des valeurs. Façade aussitôt brisée par la logique du profit qui structure et gouverne ces groupes, leurs choix, comme leurs types de production.

     

    Parents (très) pauvres de la croissance économique, les petits et encore plus les tout-petits éditeurs ne rencontrent pas ou très peu le grand public. Dès le départ, la poésie qui n'est pas officiellement consacrée par les critiques de la littérature bien propre sur elle, puis par les algorithmes prédictifs de suivi du consommateur, se vit, se fabrique dans le retrait.

     

    Les auteurs, tiraillés entre l'alchimie profonde de leur travail singulier sur la langue, et l'envie de livrer une poésie qui traverse toutes les têtes, offrent fondamentalement une espèce de clarté oblique sur l'espace intérieur de chacun, qui se confond avec l'intérieur de la langue, là où les signifiés se mêlent et se griment pour dire le vrai. Lumière sans EDF et sans néons médiatiques.

     

    Mais l'histoire semble scellée. En 1999, déjà, J.C Pinson écrivait « la poésie est désormais définitivement un art ou un genre tout à fait mineur », qui n'aurait que deux ou trois mille lecteurs assidus et autour de cinq mille lecteurs occasionnels. Bref, un objet fantomatique caractérisé par son insignifiance économique.  Sa rareté et sa rugosité supposée huilent pourtant les envolées de personnalités, les proclamations sur le Web, les façades culturelles d'élus s'offrant un moment de consensualité à l'ouverture de festivals, salons, résidences ou ateliers à faire du poème-lexomyl. Loin d'être un grain de sable, la poésie sert trop souvent, aujourd'hui, à dédouanner la mort imagée de nos sociétés.

     

     

     

     

     

     

    Et pourtant la poésie.
    Auteurs survivants, éditeurs au bord de la rupture, lecteurs en voie de disparition, tous s'acharnent à repousser la fin, à relancer une pratique et des textes. Comme si l'époque leur était (in)différente, comme si la poésie pouvait dire quelque chose de notre existence, malgré le temps réel et la performance, malgré la chute programmée.

     

    Une volonté éparse, brouillonne et libertaire persiste. Oh, bien sûr, dans cette frange si frêle se cachent quelques appétits privés au détour de niches, de fausse monnaie et de comptes d'auteur en douce.

     

    Mais si imparfaite qu'elle soit, la vie est là. Les herbes folles poussent encore, revendiquent même la lenteur, la saine digestion de livres concoctés à l'écart, contre la logique du profit et les écritures light adaptées « à l'international ».

     

     

    Que nous dit la sociologie des auteurs ? La plupart subsistent à la marge, pas éminents, peu lus, pas encouragés par les institutions et les critiques qui, comme toujours, volent au secours de la victoire. Les palais Culturels du Livre et de la Lecture font du conforme, quand le poète est dans l'informe. Leurs indulgences tombent sur les mendiants les moins sales, quand ils ne les glissent pas à leurs vrais amis de l'édition industrielle.

     

    Et, mis à part de très rare voix sur les radios périphériques ou France-Culture, on vante au lecteur de l'édulcoré, du pauvre en calories en panthéonisant la dernière sensation reconnue par le Conseil Général de Pétaouchnok. Alors pourquoi ces poètes cagoulés ne clôtureraient-ils pas la séquence, n'en finiraient-ils pas avec cette impossible adéquation à leur désir ?

     

     

     

     

     

     

     

    C'est un petit désir qui me prend par moments, de poser des mots solitaires, en réunion pour une improbable cohérence. Au roman, à la nouvelle, il faut donner un cadre général, une articulation logique sur la durée. Se décentrer, entrer dans l'histoire qui est à moi, mais irrémédiablement à l'Autre, aux personnages, au récit, au monde qui se construit comme au-delà de ma volonté.

     

    Ma poésie, c'est une conversation avec moi-même qui germe sur une intuition para(pata)logique. Elle ne s’embarrasse pas de généalogie poétique, sauf si l'idée d'une forme antérieure me traverse. Auquel cas, je l'évalue comme une erreur, ou l'endosse à ma manière qui triche avec la référence.

     

     

    Il y a de la liberté dans la poésie. Il y a beaucoup de liberté espérée. Qui peut être libre en ce monde ? Personne, si ce n'est moi. Je pose des mots et mes soucis, mes souffrances se retirent devant le chemin que j'emprunte. Leur écho est toujours là, mais je ne suis plus dans cette infinie mélancolie, dans cet atterrissage permanent sur un territoire où la gravité règne. Les mots sont mes véritables mains. Ils travaillent au-dedans et au-dehors de l'émotion initiale. Ils bâtissent quelque chose qui est à la fois le reflet de l'émotion initiale et autre chose. C'est leur nature de dire tout et son contraire, d'être aussi imparfaits que moi. Je plane au-dessus de mon écran, acteur et spectateur du bouillonnement. Plus tard, bien plus tard, je me poserai. Les jours suivants, je reviendrai écouter ce que les mots ont à me dire sur la façon dont je les ai imbriqués.

     

     

     

     

     

     

     

     

    Et pourtant la poésie.
    Alors que certains se demandent si la petite et toute petite édition de poésie pourraient survivre sans les aides du CNL – 24,5M€ en 2017 pour 2227 aides avec d'énormes différences puisque la BNF, par exemple, touche des millions d'euros, et d'autres...beaucoup moins. Les aides sont quand même, pour partie, destinées aux ouvrages publiés par les éditeurs de poésie. Et tout cette manne essentielle à la survie de beaucoup implique, bien sûr, que ces éditeurs soient engagés sans concession dans une poésie à grande distance des effets de mode, dans des publications qui n'ont rien à faire d'espérances ou de suggestions venant de relations qui auraient une petite influence « là-haut ».

     

    Les auteurs continuent à y croire. C'est, comme bien souvent, la technologie qui introduit une différence, une relance inattendue. Aujourd'hui, c'est le Net. Aussitôt écrit, aussitôt publié. Plus de manuscrits papier à envoyer, plus de frais postaux, plus d'interminables attentes. On est à l'écran, on est v(l)isible comme n'importe quel Hugo, Rimbaud, ou Prévert. Si on tape « site de poésie » dans Google, on obtient 53 000 000 de résultats.

     

    La poésie, à travers la technique, vit encore. Sa qualité, sa popularité réelle, restent à évaluer. Mais quel a été le poète reconnu de son vivant ? Reconnu intact ? Ou rogné par gros travail de « socialisation » de ses écrits, de vernissage avec personnalités, de rencontre des bons décideurs, avec le bon discours et le bon CV de poète, de préférence de père en fils ?

     

     

     

     

     

     

     

     

    Et pourtant la poésie.
    Elle serait bien aidée si au lieu de saupoudrages, on lui donnait l'antenne régulièrement, très régulièrement. Pour cela, il faudrait une chaîne du Livre, rien que pour le Livre, qu'il soit roman ou poésie. Puisque l'ensemble de la population a recours très régulièrement aux médias. Évidemment, les oboles du CNL et la dynamique du ministère ne poussent pas vers ça. Ni le CSA qui a fait une TNT pour les animaux qui broutent.

     

    Et du travail de terrain, des radios-crochets poésies, un appel à l'inspiration des populations plutôt qu'a leur portefeuille, un espèce de marketing de la création aussi puissant et permanent que les packaging et autres médias-planning d'Hachette. A une autre époque, on appelait ça de l’Éducation Populaire, un beau nom pour une belle intention.

     

     

     

    Pour la poésie, comme pour toutes les littératures vivantes et de qualité, le problème de fond est de susciter chez les producteurs – éditeurs et soutiens étatiques - la volonté DÉSINTÉRESSÉE de la faire connaître, apprécier, des bibliothèques aux librairies, des écoles aux hôpitaux, des ministères aux mairies. Créer une inclination, une appétence à une poésie qui soit branchée sur le réel sans cesser de regarder vers le ciel. Laquelle est incompatible avec l'appétit, la recherche du profit.

    Il faut le répéter, malgré toutes les proclamations de mercato-compatibilité, les recherches de niches, les discours lénifiants d'auteurs lorgnant sur l'édition industrielle.

    La poésie ne se vend pas, d'ailleurs elle n'a jamais été à vendre et n'est sans doute pas sans risques.

     

     

     


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