• Don Tartarin sur la plateforme aux animaux dénaturés

    Regard amusé sur un nouveau surgeon de l'analyse littéraire

    Don Tartarin sur la plateforme aux animaux dénaturés

     

    Don Tartarin sur la plateforme aux animaux dénaturése cherche régulièrement des analyses, exégèses, et autres dissections universitaires sur l'écrit, la littérature. J'y trouve le plaisir de me sentir plus clair dans ma tête que je ne le suis et j'alimente la bête au fond de moi, toujours prête à croquer du réel pour en ressortir une fiction.

    Une analyse, sur Fabula, m'a donc intéressé. Modérément. Je ne voyais pas trop la nouveauté de l'affrontement entre les « réalistes » et les « fantaisistes », ou « fictistes » et « factistes » comme les a nommés Sophie Rabau. Combat ancien entre le réel et la fiction, qui occupa, me semble-t-il, l'initial terrain de la philosophie, avec l'affrontement entre matérialisme et idéalisme.

     

    Sur ce sujet, je botte tout de suite en touche. Les formes fictionnelles nourrissent leurs personnages, les personnages alimentent un récit, un récit se déploie en lien avec la registre de langue utilisé. Bref, il y a un fonctionnement et des évolutions endogènes indéniables, ce qui donne du miel aux abeilles fictistes  Mais une fiction s'appuie sur l'esprit et le corps d'un auteur, tous deux à jamais membres actifs de la société, de l'Histoire et de leur propre histoire tissées d'échanges perpétuels, réels ou fantasmés. Les factistes n'ont pas tort, la littérature se nourrit du réel, s'appuie sur lui quel que soit la façon dont elle le régurgite. Les deux brigades conceptuelles restent à départager.

    Je finis par les notes de bas de page. Il y est question d'un certain Pierre Bayard, professeur de littérature à Paris VIII et psychanalyste, inventeur de la « critique interventionniste », sérieux pilier des « fictistes », d'après Sophie Rabau.

     

    Sa théorie, il l'expose dans une sorte de teaser, traîne en vogue pour attirer et retenir l'internaute, qui acquerra les écrits de l'auteur dans la foulée.
    Si l'on s'en tient à ce résumé qui expose les fondements, certes un peu grossis de la chose, la nouvelle critique de Bayard repose quelque part  entre la politique de la chaise occupée chère aux cathos et le relativisme culturel
    La critique ne se satisfait pas, par exemple, de voir La chartreuse de Parme et Stendhal liés pour l'éternité. Trop limitatif, trop obsolète. On oblige la critique à encore déployer ses ailes à l'ombre du couple auteur-oeuvre, alors qu'il serait si fécond de faire une critique « chinoise » , comme le portrait. Gagnant ainsi un nombre conséquent d'adeptes du mélange des concepts, des courants, des territoires critiques, les zappeurs, les amateurs d'exotisme. Bref, la théorie interventionniste occuperait des champs nouveaux du lectorat parce qu'elle veut intervenir sur tous les terrains dans un syncrétisme bigarré, exotique.

    La Chartreuse de Parme serait ainsi attribuée à Tolstoï, ou peut-être Paul-Loup Sulitzer, voire Maurice Leblanc suivant « l'élément » que personne n'a su mettre en avant, avant Bayard, pour l'inscrire dans une filiation explicative inédite. L'iconoclaste ne dit pas autre chose : « des éléments qui s'y trouvaient déjà [dans la Chartreuse de Parme] se verront dessinés de façon beaucoup plus nette ». C'est clair. C'est vaste, très vaste.
    Autre avantage de cette nouvelle critique, les auteurs verront leur production enrichie. On imagine la joie céleste de Frantz Kafka quand il se verra soudain papa de Central Park, improprement attribué à Guillaume Musso, ou de Des vies en mieux que certains croient encore écrit par Anna Gavalda.
    Et pourquoi pas, puisque les modèles de compréhension peuvent croiser différents auteurs pour un même livre, différentes aires culturelles et, qui sait, différentes époques si on pousse le principe de la filiation intellectuelle jusqu'au bout. Le nœud de l'affaire étant que c'est la théorie de l'essayiste – par exemple, « divers éléments » de Moby Dick seraient à rapprocher « d’éléments divers » de Les animaux dénaturés de Musil, en vertu d'un « part animale » irriguant ces deux romans, même si elle est légèrement moins perceptible dans le second – qui compte.


    De même, les étudiants ignares ne se verront plus culpabilisés en annonçant que Jules Verne est l'auteur de 5 colonnes à la Une, ou que Patrick Modiano a bel et bien écrit Quai des marques obscures. Ils ne seront plus tentés de délaisser la littérature pour des aventures en CDD au rayon fruits et légumes de Auchan.

     

    Mais, j'ose le dire, la vraie rupture de Pierre Bayard avec une critique fossilisée, au jus de neurones gouttant péniblement de vieux entonnoirs conceptuels, est son appel à la machine désirante qui est en nous. Larguons attaches et attachements rances. Pourquoi cantonner, cloisonner, corseter ? Critiquons de tout avec tout le monde et les entonnoirs seront bien gardés.
    En réalité chaque œuvre comme chaque auteur est le résultat de son époque, des époques antérieures et des futurs qui les regardent. On ne saurait désormais considérer Don Quichotte comme un roman espagnol du XVIIème . Par le simple fait que la critique quantique nouvelle nous a appris que le regard de l'observateur modifie irrévocablement la réalité observée. Ainsi, dès le départ, Don Quichotte est l’œuvre collective d'un certain Cervantès, mais surtout de ses ancêtres grecs, romains et autres pilotant sa mémoire, car il les a lus, assimilés. Ils ont écrit avec lui. Comme chaque œuvre,  loin d'être en laisse, tenue par un auteur, est nomade, inscrite dans un réseau fictionnel affilié lui-même à d'autres réseaux. Ses lignes ne sauraient être lues et assimilées que par une analyse spatio-temporelle élargie. Toutes les filiations possibles sont dans la tête des Cervantès et autres auteurs pluriels, elles coulent toutes dans ce grand roman, réécrit par chaque époque qui l'observe pour être définitivement, singulièrement adapté à l'esprit de ce lecteur du XXIème siècle qui se penche vers le gentilhomme de la Manche et sa Rossinante.

    Alors, naturellement, toutes les compréhensions sont possibles, si l'on dispose d'une théorie triant le nécessaire et le contingent.

     

     

     


  • Commentaires

    1
    Dimanche 5 Juillet 2015 à 13:26
    Je suis tout en fait en phase avec ce propos...
    2
    Dimanche 5 Juillet 2015 à 16:44

    Tu m'en vois ravi, ami poète.

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