• De la forme du sens

    Je ne suis venu à la poésie que tardivement. J'ai écrit des choses qui ressemblaient à des poèmes, avant, mais ce n'en étaient pas. Je crois être, aujourd'hui, dans la réalité de ma poésie. Cet article tente de décrypter comment je fais quelque chose qui me dépasse, m'entraîne. Les assertions générales qui y sont par moment lâchées seront donc à lire avec indulgence.

    De la forme du sens

     

     

    De la forme du sensa claire conscience d'un poème vient quand on l'écrit. Ou ne vient pas. Continuer, tracer des lettres et des mots, c'est tout ce qu'il reste à faire.

     

     

    De la forme des mots jetés sur le papier vient du sens. Ou plutôt de la convergence et du choc de mots accolés les uns aux autres vient le sens. Le sens n'étant pas la stricte définition de chaque mot donnée par le dictionnaire, ni la somme comptable des différentes significations, ni même le sens évident que produit la totalité des lignes d'une poésie.

     

    Faire pousser un poème

     

    Tri

     

    On repousse les mots malvenus selon un tri qui vient du fond de soi. Il organise la nécessité, d'un mot à l'autre, de suites, de groupes. Il fonctionne à l'harmonie, attentif aux collisions et aux collusions locales comme globales. Il cherche des marches, des affinités. Des cairns. de loin en loin. Contraires et synonymes, allitérations et assonances. Les signes et les sons comme des prises. Je parle en moi les mots que je pêche. Ils me disent oui ou non, Leur voix m'indiquent qui appeler d'autre. Je les regarde, en même temps, comme la calligraphie regarde les mots.

     

     

    Exemple

     

    J'écris sur la guerre pour exemplifier ce que je cherche à transmettre. Le mot « guerre » est mon point de départ. Aussitôt me sont venus les tonnerres et les éclats, je voyais des bombes, des rues dévastées, j'entendais les explosions. Mais les images noyaient les mots, je n'ai rien à dire, écrire devant l'évidence. Quelque chose se relâche, une porte se referme en moi très vite, je m'en vais. Des ponts apparaissent bientôt, des zones d'images-sensations différentes, mais toujours sur le territoire de la guerre. Ainsi, la guerre appelle la paix. La paix qu'il recherche, l'homme est-il le mieux à même de la trouver ?
    Autre chose. La paix est un concept, alors me vient « l'homme », pas « moi », ni « je », ni « tu », ni « il » ou Sophie, ou Christine, ou Julia. A chaque poème son « narrateur », même si « je » ou « tu », ou «elle » n'est pas vraiment ce pronom, ce niveau de personnalisation.
    C'est un flot irrégulier mais continu de sensations/mots d'oppositions et de convergences diffuses qui surgit. Les échanges entre leurs différentes significations et leurs sonorités, la forme des vers, tout cela nourrit le poème également.

     

     

    Grammaire

     

    Toute cette pêche n'a que peu à voir avec la grille universelle du langage, la grammaire. Je ne connais, reconnais que sens et sons. Musique. La grille harmonique est au fond de la mer. Elle sait ce que je dois écrire. Elle est toujours là, toujours la même. Certains appellent ça l'inconscient. C'est vrai. C'est faux, réducteur. Il faut y ajouter l'histoire de chacun, ses connaissances, ses amis, ses proches, l'arbre dans son jardin et le sourire d'une femme aperçue hier à une fenêtre, ce chien qui m'a mordu il y a trente ans. C'est une vie qui est au fond et filtre à sa manière.

     

     

    Rythmes

     

    Le poème vient à la page par des rythmes, aussi. Ils sont sa force, ses jambes. Ils lui permettent de sauter d'un vers à l'autre, d'un paragraphe au suivant. Parfois c'est rime, parfois c'est répétition. J'aime la répétition qui enfonce, qui renforce. J'aime la rime légère, rare et inattendue.
    Je ne me fixe que deux contraintes conscientes. Polyphonie et concision.

     

    Concision

     

    Un poème dois dire peu. Ou beaucoup, mais toujours peu. Peu, c'est peu de mots. C'est peu du « thème ». Il éclaire la pointe et le lecteur dévoile, découvre d'autant plus l'étendue en-dessous. Il répète comme un guitariste fait des riffs. Marque d'importance, de hiérarchie. Dramaturgie sans doute.
    La concision c'est le bas-relief du langage. Elle exprime en creux le fait que tous les mots sont reliés et que chacun d'entre nous à une façon particulière de les relier. C'est sa carte d'identité langagière. La concision c'est l'ombre qui entoure l'écran de cinéma. Il n'y aurait pas de focalisation, pas de fascination, pas de regard et pas de film si l'ombre ne soulignait pas la lumière.

     

     

    Polyphonie

     

    Concis, le poème n'en porte pas moins plusieurs sens. Je devrais dire par conséquent. C'est la concision qui provoque la polyphonie. Les mots son polyphoniques. Saussure en avait recensé plusieurs dizaines de milliers porteurs de cette qualité.
    Les vers et les paragraphes le sont nécessairement. Peut-être pas tous mais un poème achevé propose plusieurs sens qui n'ont pas tous la même force, la même évidence. Leur hiérarchie, d'ailleurs reste obscure. Il y a quelque chose de l'ordre du mystère. Mystère qui tient dans l'indécision de ces variations de sens enchevêtrées, qui débouchent, ouvrent le sens profond, unique du poème.

     

     

    Lecture/Écriture

     

    Toute cette technoétique s'appuie sur une évidence contradictoire. L'auteur crée singulièrement sans jamais perdre conscience qu'il est avec le monde en créant. Le lecteur potentiel est là, complice de sa poésie. Le lecteur réel façonnera son cover à lui.
    Ces deux activités en échange ne peuvent fonctionner que parce qu'elles se déroulent dans un territoire commun qui conditionne l'expression poétique, celui de la logique générale du langage. L'auteur comme le lecteur sont formés, imprégnés par la logique de base des formes et des articulations entre mots, phrases et autres blocs plus amples. Celle de la communication, universellement pratiquée dans le but d'échanges compréhensibles, fonctionnels. Sont emmagasinés pour cette communication et par l'expérience de celle-ci, la syntaxe mais également toute la gamme des expressions usuelles, proverbes, sentences, maximes, interjections, argots divers.
    Dans le moment de création, l'auteur accueille les remontées du fond de lui-même et examine aussi rapidement le ou les mots qui viennent à l'aune de son bagage communicationnel. En jeu, l'écart à la logique. Le ou les mots émergeants doivent s'écarter peu ou prou de la logique de base commune. Là où il y a écart, même minime à la logique, il y a intrusion du poétique. La rime n'est-elle pas l'autre évidente qui a combattu le langage usuel dépourvu de la rime et de ses « assesseurs » les pieds ? Sa prolifération est peut-être au fondement de sa disparition dans le poème moderne. Elle est devenu matériau de base, une logique qui n'était plus autre. Elle ne créait plus d'écart.
    L'auteur joue de l'écart, le lecteur suit l'écart plus ou moins tout en restant dedans. La poésie est partagée et chacun se l'approprie.
    Cette idée de logique vaut sans doute aussi pour les mots « nus » non encore intégrés au territoire poétique, non encore participant du sens profond. Si la forme conditionne le fond, on peut penser que c'est une forme qui se façonne au fond du créateur. La sensation, le « sens » du mot serait au mieux corrélatif. L'émergence d'un « signifié » en second amène à penser que l'activité poétique est un grand jeu de signifiants. A voir.

     

    Sens profond

     

    C'est ce qui reste quand toutes les significations ont défilé, brillé et sont retombées. C'est la sensation de l'humain devant la chose ou l'événement, la personne qu'il a été re-présentée dans le poème.
    Une image de l'auteur dans le monde, auteur présent mais suffisamment absent pour que le lecteur reprenne ses mots et parcourent le chemin pour arriver à recalculer dans les mêmes termes cette équation sensible et dévoiler l'espace qu'elle lui ouvre, où il est dans cet espace et qu'est-ce qu'il peut voir de nouveau sur lui-même. Oui, chaque donne une minuscule image de ce que nous sommes réellement au monde, dans le monde, pour le monde. Il ne décrit pas, il ne décrypte pas, il ne mesure pas, il ne représente même pas. Il offre une expérience de langage dans laquelle nous pouvoir voir nous-même regardant le monde qui n'est que le signifiant à jamais perdu du langage.

     

     


  • Commentaires

    1
    Mardi 2 Août 2016 à 11:12

    Merci pour le partage!

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