• Dans l'ombre, la littérature ?...

    La représentation redevient problématique pour l'auteur, à l'ombre gigantesque du monde déshumanisé. La "littérature de terrain" comme une réponse à la disparition. De quoi, exactement ?...

    Dans l'ombre, la littérature ?... 

    e me considère très peu comme un être unique, au sens d'absolument singulier, mais comme une somme d'expériences, de déterminations aussi, sociales, historiques, sexuelles, de langages, et continuellement en dialogue avec le monde (passé et présent), le tout formant, oui, forcément, une subjectivité unique. Mais je me sers de ma subjectivité pour retrouver, dévoiler des mécanismes ou des phénomènes plus généraux, collectifs.

     

    Annie Ernaux, L'écriture comme un couteau.

     

    Ce serait là le modèle théorique de notre destruction, comme si, dans l’instant d’apocalypse de ce rayonnement thermique, tout ce que nous étions, notre corps et nos pensées, nos peurs, nos désirs et nos espoirs, en bref notre empreinte biographique, pouvaient non pas disparaître, mais nous faire brutalement muter en une seule et même substance, qui ne serait pas réelle puisque rien ni personne n’aurait véritablement le temps de l’appréhender. Le bleve marquerait la pure et inconcevable réconciliation des matières moléculaires et des corps cellulaires.

    Éric Chauvier Somaland



    Le roman s'est métamorphosé au fil des millions de pages qui l'ont formé. Il y a eu le narrateur omnipotent, omniscient, puis les personnages avec l'ombre d'un narrateur. Un long règne, une lassitude obligée ? Il a perdu confiance, dépéri, tourné en rond sans but, en attendant quelque chose de la fiction ou du réel, sans savoir quoi.
    Il était prêt à se faire avaler par le décor. Ça n'a pas manqué, il a disparu ou presque, soupçonné d'être faux et ringard. Pour se retrouver, il a cherché à s'incarner dans le monde des idées en s'inventant son propre univers. N'est pas Platon qui veut, on sifflait du côté des fictionnaires réalistes. Ni une ni deux, fini la fiction, les uchronies, vive le réel mais avec un peu de cinéma auto-administré.
    Au fil des détours et transformations, celui qui raconte demeure, mais le mouvement général qui domine, semble-t-il, le temps long de la fiction, comme l'éternel retour de la marée, est l'occultation, voire l'abandon du narrateur et du personnage. La visibilité serait encore repoussée encore d'un cran.
    Exit ce vieux cabotin d'auteur et ses doubles, ses mimes, ses clowneries, ses dépressions, ses paranoïas stylistiques. Dominique Viart repère ce phénomène dans un nouveau courant littéraire, qu'il identifierait. Une littérature nouvelle prendrait la scène. Il convoque du lourd pour appuyer sa thèse Son panel déborde la littérature « littéraire » - malgré quelques romancie(ère)s aussi, comme Ernaux et Desbiolles -, pour repérer la chose dans des écrits d'ethnologie, d'anthropologie de médecine des catastrophes...

     

    Qu'est-ce qui se passe sur le front du personnage, incarnation littéraire par excellence ? Pour l'auteur qui l'anime avec les habits du style, ça devient, encore une fois, problématique.
    Ce qui est encore là, au stylo ou au clavier, la chose littéraire, dédaigne le personnage, le moi, et même la famille. Ce littéraire-là s'attache aux relations structurales et systématiques, aux décors dépassionnés. On est dans le lâcher prise que ne connaissait pas le Nouveau Roman qui planquait de l'affectif dans les plinthes, les rebords de fenêtres et les rangées de piquets de tomates.

    «Littérature de terrain », ça s'appelle comme ça, il paraît. L'auteur s'attache à déminer sa participation, à dénouer sa responsabilité. Il n'est plus lui-même, depuis longtemps. Épuisé, son petit ego clignote au-dessus de sa myopie qui ne lui donne accès qu'à des fragments du réel, voire des fragments de lui-même. Il cherche un rapport avec l'espèce de réalité qu'il vise, qui soit presque détaché. Une espèce d'objectivité. Non, ce serait encore trop fort. Un rapport cautérisé. Il fera signe ok, mais plus de lien, pas question de s'énerver avec ce foutu réel et d'embaucher des chevaux de Troie pour imiter, reproduire, simuler. Inutile, épuisant.

     

    Quelque part là-dedans s'immisce, glisse pourtant du littéraire. Quelque chose veut toujours se dire, avec toujours plus de peine à se montrer, à trouver et un véhicule et la volonté d'avancer à découvert. Tout se passe comme si la littérature en avait assez de l'humain, de ce qui fait chair et sensations. Elle va chercher ailleurs. Elle va pénétrer les graphes, les territoires, les structures, les objets, les silhouettes, les vides, les débris, les zones devant soi. Dans le dire des artefacts ou des objets sociaux viendrait comme une écume, un fond de tonneau, la littérature. Elle se tapirait et s'introduirait dans les cartographies diverses, les relations, les dimensions visibles, En attente du tremblement, du trouble, de sensible individuel ou collectif, sans doute.

     

    Peut-être y a t-il un rapport avec l'évolution de l'art vers l'abstrait. Comme une lassitude des mondes humains qu'il a reproduit tant et tant. L'auteur las de sa représentation, de la chair et de l'affect qui vont avec, se replierait sur les éléments et les objets, non pas pour figurer de manière biaisée l'humain (nouveau roman) mais pour laisser la parole, la scène à ses artefacts. En transparence, en écho viendrait quelque chose de l'humanité, dans l'imperfection de l'enquête, le tremblé de la biographie. Ou dans la sur-exposition de la trajectoire et des détails techniques, scientifiques. On soupçonnerait, dans cette version, la présence de la littérature à la floraison de détails, l'exacerbation d'un paysage, en proie à une sorte de vertige hyper-réaliste inversé. L'humain en creux, disséminé dans une foultitude d'échos dont le zéro absolu émotionnel signerait la présence d'une chaleur impossible à étouffer.

     


  • Commentaires

    1
    Mardi 2 Août 2016 à 11:36

    Merci pour le partage!

    2
    Mardi 2 Août 2016 à 13:03

    Pouvez-vous me rappeler quel site vous représentez ?...Je ne vois pas avec qui j'ai partagé tous ces articles, si ce n'est sur avec les amis FB et Twitter.

    Merci

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