• Chocolat minceur

    Élise, caissière chez Netta, est affligée d'une surcharge pondérale conséquente. Elle saute de joie quand le Premier ministre annonce la fin du chocolat qui fait grossir. Aucune raison de douter du charismatique et décidé conducteur de la Nation. Jusqu'au jour où elle constate que le chocolat n'est pas ce qu'il prétend être, qu'elle a donné d'elle-même pour rien. Va-t-elle renoncer au chocolat minceur ?...

     

     

    Chocolat minceur

    Chocolat minceurvrai dire, Élise finissait souvent sur cette excuse. Qui n'avait rien perdu de son efficacité. Juste un peu de lustre, au fil des années. Au fil des années où son corps s'était arrondi jusqu'à devenir cette chose qui la narguait de tout son poids.

     

    Et elle venait encore de brandir la fameuse excuse devant le beau-frère passé en coup de vent pour lui emprunter un chinois. Il n'avait, évidemment, aucune idée de ce que sa sœur pourrait bien faire d'un chinois, lui. Sans doute un de ces gâteaux bourratifs dont elle le gavait, comme s'il n'était pas assez gras. A moins que le chinois ne soit qu'une pique, une provocation à plusieurs bandes dont cette garce avait le secret.
    Du chinois, elle lui avait expliqué la nature. Ils avaient dérivés vers les petits plats, la bonne bouffe. Oui mais toi, tu as arrêté les bonnes bouffes, hein, avait commenté le beauf tout en finesse. Mais qu'est-ce qu'elle y pouvait, elle, à être ronde comme ça ? On est ronde en chœur, de famille. Maman elle n'était pas ronde, peut-être ? Après elle s'était mise à pleurer et l'asperge de beauf s'était éclipsé comme un foireux qu'il était, sans même essayer une excuse, tenter de la consoler. Comme si elle pouvait quelque chose, elle, à ces rondeurs qui ballottaient sans retenue.
    Le soir s'était glissé dans la maison. Elle était toujours là, dans la pénombre, à rembobiner la fuite du beauf, verser quelques larmes sur ce crétin d'homme, et sur tout le reste. Un gémissement lui vint. Ça lui arrivait régulièrement. Et même de crier sans retenue, des fois. A peine de quoi faire passer la douleur des jours qui pesaient tous vingt-quatre heures et jamais moins, les uns après les autres. Tout ça à cause de ce corps qui l'entourait, engloutissait une âme que les hommes auraient dû percevoir. Elle brancha la télé et se servit une dose de suze. Salut à maman qui l'adorait, la suze amère et tendre. Et se releva illico pour ouvrir au gémissements du teckel qui lui fit fête et s'en alla uriner en pleine cuisine. Elle l'attrapa et lui fessa l'arrière-train, sans conviction. T'es bien le plus heureux, toi, allez va coucher panier, mon beau. Le chien s'en alla en traînant les fesses par terre. Il n'était que sept heures. Une heure avant de manger, puis regarder la télé et puis dormir jusqu'au lever. Et puis déjeuner et puis partir pour l'hyper s'asseoir à sa caisse jusqu'à quatorze heures, et rentrer faire une sieste, avant de ressortir, retrouver l'humanité, les courses. Elle se resservit une goutte de suze, avant de prendre une grande décision, une alternative simple pour sortir du cercle vicieux. Elle alluma la télé, une heure et demie avant l'heure habituelle du plateau-télé.
    Comme d'habitude elle commença par i-télé. A l'écran, le premier ministre. Plutôt mignon malgré sa tendance confirmée à froncer les sourcils. Caractériel, sans doute. Dur à vivre, ceux-là ; on les supporte parce qu'au lit ils sont bons clients, paraît-il. Sa sœur en était absolument sûre, qui le tenait d'une amie connaissant bien le premier adjoint à la mairie. Elle remisa une glissade érotique avec le PM dans le rôle du client. Le chef en était venu au problème des personnes en surpoids, elle ne rêvait pas. Pour une fois qu'il parlait pour de vrai, elle se mit à l'écouter sans le détailler, en résumant à sa manière.
    Les grosses, gross malheur, ça coûte un max à la Sécu et ça fait des infarctus. Fallait que ça cesse. Le Premier Ministre n'avait pas fini, et il finit par la surprendre. Grosses = êtres humains humiliés, fragiles. Faut les sauver, on les aime. Ouais, chassez le baratin. Il fronçait encore plus les sourcils, le PM, comme s'il voulait vraiment aider les grosses. Il se tut un instant, leva sa tête de petit dogue, en serrant les mâchoires. Vraiment trognon, comme ça. « La France ne saurait laissait perdurer les souffrances psychologiques et la discrimination frappant les personnes en situation de relégation liée à leur poids. En conséquence, c'est d'un commun accord avec l'ensemble du gouvernement et des partenaires sociaux que nous avons décidé que le principal ennemi d'un corps sain et svelte, le chocolat et toutes ses déclinaisons, ne feront plus grossir ». Fini la benne pour les grosses, fini la grosseur, fini le chocolat plein de calories ! Un peu, qu'elle était d'accord.

     

     

    La fin d'année affûtait ses guirlandes, alléluia, le miracle de Noël venait enfin de tomber pile !
    Elle fondit sur son smartphone, appela Estelle, Judith, Sue Ellen et Adeline, pour finir en SMS puis de vive voix avec Amandine, l'amie, la vraie, la confidente de quatre-vingt dix pour cent de ses frustrations et décisions définitives sur les hommes.
    L'avenir faisait signe, au lieu de leur marcher dessus. Amandine en connaissait aussi un bout sur les avenirs avortés. Un surpoids plus léger, d'accord, mais le handicap d'une naïveté désarmante devant le moindre costume correctement repassé. Marque de fabrique : un papa officier de marine. L'uniforme la mettait en transe, le costume trois-pièces la désarmait devant les assauts des bêtes en rut. Les lendemains la réveillaient seule dans son lit. Elle ne connaissait même pas le père exact de son fils. Un gamin au visage anguleux, aimable comme une porte de couvent, toujours à espionner les conversations et le sac de sa mère. Il réussissait correctement à l'école, d'où il rentrait souvent amoché par ceux qui ne supportait pas son index tout le temps levé au nez de la maîtresse.
    Le chocolat finesse surfait déjà sur les rayons quelques jours après l'annonce du premier ministre. Une célébration s'imposait, un de profundis spécial régimes, sucrettes et balances. L'orgie chocolatée se déroula chez Élise, après un lobbying astucieux auprès de son amie pour rester entre elles, le cher fiston allait s'ennuyer, le pauvre chéri, avec deux ancêtres comme nous. Amandine déposa les armes sans combattre. Le chocolat méritait cette intimité. Elles finirent saoules et larmoyantes, le visage barbouillé de traces marron comme les enfants. Amandine dormit sur place.

     

     

    Les bouches s'étaient lâchées, les têtes libérées de l'esclavage minceur, le réveil fut parfait. Élise, au lever, n'éprouva aucun maudit ballonnement, aucun vertige, aucune de ces tristes nausées du temps où le chocolat plombait les estomacs. Dire qu'elle avait enfourné avec une délicieuse impatience les deux mille calories des bricks au chocolat, avalé mezzo forte un beau loup de Méditerranée en sauce cacao, pour achever piano le festival calorique, à deux doigts du paradis, par une tarte tout chocolat. Introuvable l'angoisse amassée pendant la nuit pour sauter à la tête dès le réveil, plonger le corps en super-gravité, avec la tombale certitude de ressembler à un hippopotame. Elle n'avait pas pris un gramme. La balance s'inclinerait. Un gramme, même pas un gramme, autant dire rien. C'est tellement petit, nul, un gramme. Et même ce rien, le chocolat finesse le réduisait à rien. Elle rit au visage d'Amandine qui venait de s'éveiller à son tour, tournoya devant la baie du salon, sourit à la vie qui venait, légère et court-vêtue.
    Vers treize heures trente, elle enfila son jean stretch noir. Il serrait moins, la boudinait moins au niveau des cuisses, évident. Elle sautillait sur place en attendant le bus direction Netta, l'hyper, le travail. A douze heures, elle pris sa pause et mangea. Le sandwich était fade et dégueulant de de sauce hyper calorique. Elle en jeta la moitié.
    De retour chez elle, elle retrouva une cuisse de poulet et un fond de sauce au cacao au fond du frigo. Le chocolat continuait à rayonner comme un bel astre marron dans le ciel d'une réussite imminente. Elle passa sous la douche et se demanda ce qu'elle allait mettre, plantée pour une fois devant sa glace. Oui, bien sûr il y avait encore plutôt du plein que des déliés, mais déjà des rondeurs, comment dire, rondelettes au lieu de grasses. Elle choisit un t-shirt et un autre jean stretch, blanc cette fois. Il serrait toujours. Non, il ne comprimait pas, non, il était rugueux. Rêche, oui. A faire des économies de bout de chandelle, voilà ce qui arrivait. Une bonne lessive respectait la douceur du tissu. Elle l'inscrivit et la souligna sur la liste de course. Chocolat mon ami, ma finesse, ma grâce.
    Le visage délicieusement bougon du premier ministre lui monta en mémoire, elle alluma i-télé. Soixante-dix-sept virgule deux pour cent des français approuvait sa décision. Mais il argumentait toujours, increvable. Les finances publiques plombées par les pathologies du poids, la consommation effrénée d'anti-dépresseurs, le pays déjà stressé par la crise. Quel homme ! Elle croqua un carré de chocolat, juste un, avant une bonne sieste.
    Sur Facebook, la bataille faisait des ravages. On s'insultait, on se bloquait, on se signalait pour une photo, un mot. Élise publia une image d'elle légèrement photoshopée pour bien souligner combien le chocolat inversé introduisait une nouvelle ère. Pour elle et pour toutes les sœurs rondes. Une heure plus tard, elle était reprise cent cinquante fois, avec mille cinq cent « j'adore ». La totale. Elle s'arracha au réseau avec difficulté.
    Amandine ne voulut pas venir lui tenir compagnie, des obligations impossible à désobliger. Elise pardonna et s'attabla rapidement en laissant la calculette aux calories de côté, sans regret. Un quart d'heure plus tard elle sortait de table, légère. Vaisselle expédiée, elle se brossa les dents puis les cheveux qu'elle portait longs. Elle songea à les raccourcir. Un piercing s'imposait aussi. Maintenant qu'elle était dans le tunnel minceur, une petite perle au menton ne risquerait plus de faire ressortir son cou adipeux. Puisqu'il ne serait plus adipeux. Pause sieste.
    Au réveil, elle sentit une envie de chocolat. Pour ne pas faire de jaloux, elle avala une tartine de Nutella et trois carrés de chocolat noir. Chocolat douceur, chocolat minceur, me voilà ! Elle fonça à l'arrêt de bus, pour son son troisième temps de travail de la journée.
    L'agent de sécurité, à l'entrée de l'hyper, lui sourit, lui qui ne souriait jamais. Un signe. En passant elle sourit à son tour, battit des paupières et s'éloigna très vite, toute rougissante d'une telle audace devant cet homme dangereux. Elle eu du mal à entrer dans l'espace de la caisse 3, qui lui était assignée jusqu'en fin de journée. Sans doute Sandrine qui avait déréglé le fauteuil, avec sa manie de coller à l'écran produits pour éviter de trop solliciter poignets et bras. Elle sourit en introduisant ses codes dans la machine. L'arme terminale contre la tendinite n'était autre que la minceur, une minceur tonique, légère, ballerine. Voilà, il fallait suggérer cela au premier ministre. Un slogan qui arracherait l'adhésion, lui porterait l'amour et les bulletins de millions de femmes. Minceur ballerine. Et pourquoi pas ?
    Rien de plus simple. De retour à l'appartement, elle fonça sur l'ordinateur.  En deux clics, elle se retrouva devant le formulaire de contact avec le maître du pays. La fenêtre textuelle remplie, elle bafouillait encore des remerciements. Elle respira profondément, effaça. Une tablette de chocolat et deux verres de lait plus tard elle envoyait une lettre aimable et constructive qu'il ne pourrait que lire avec plaisir. Le lendemain la messagerie lui offrait une réponse. Oui, le chocolat était désormais « minceur » ; il pouvait arriver que certaines personnes tombent sur l'ancien modèle, mais ce n'était qu'un dysfonctionnement passager. Quant aux récalcitrants une vigilance de tous les instants s'imposait contre eux. Elle participerait, il en était sûr, à l'effort citoyen de surveillance et de dénonciation des fraudeurs.

     

     

    Les copines n'étaient pas forcément convaincues, qui la moquaient presque, même Amandine. Elle avait pourtant payé de sa personne en les réunissant un soir de semaine pour leur faire adopter la bonne parole venue d'en haut. Elle les reçut, dans un body très seyant et une jupette, propagande par le fait pour la décision gouvernementale. Échauffée par la discussion, elle leva les bras au ciel et sentit le body se fendre dans son dos. Douchée, confuse, elle couru enfiler un sweat. Sourire et l'oeil convaincant de nouveau en place, elle reprit. Mais le cœur avait des ratés, et cette foutue jupette qui remontait sans arrêt sur ses cuisses flasques. Elle tirait dessus, invoquant l'amaigrissement, les tissus sans doute fabriqués en Chine. On ricanait ouvertement, les regards ciblaient ses chairs encore en transformation. Bref, on finit par invoquer des excuses qui sonnaient atrocement faux, pour s'éclipser sans une approbation, ni un merci. Amandine, impardonnable, refusa même une part de gâteau au chocolat. Ce gâchis finit en larmes devant le miroir, dernier ami qui savait voir la fine silhouette sous les kilos de gras en train de fondre.
    Sous sa couette constellée de petits cœurs rouges et bleus sur fond blanc, Élise rêva à moitié au Premier Ministre. Elle aimait l'autorité depuis toute petite, au service du pays depuis toujours, sans doute. Merci papa. Jamais de contestation, une légitimiste pure. L’État et la France se confondaient, sous la houlette du Premier ministre et du Président. Ils savaient ce qui était bon pour nous, ils étaient là pour ça, faits pour ça. A vrai dire elle ne se posait pas la question.
    Poussaient pourtant plutôt des fleurs rebelles, en ces temps. Elle les voyait, elle sentait bien le vent rebelle, il la nourrissait à sa façon. Elle était la résistante contre tous ces faux résistants, ces imbéciles qui voulaient scier l'arbre tenant le pays. Pour les élections, elle avait quand même des préférences, mais l'affaire terminée elle suivait l'équipe élue, car il fallait bien une équipe, une direction, un chef. Le Premier ministre. Le Président, ce n'était pas tout à fait pareil, il était ailleurs, dans les grandes idées, l'image du pays. Le Premier ministre était à la barre. Il dirigeait, pour le bien du pays. Après, il y avait des retards, quelques entorses, du mou dans le quotidien, d'accord. Mais il fallait soutenir le pouvoir en place. Question d'honneur, de respect. Normal. Quand elle voyait le Premier ministre elle sentait qu'elle avait raison. Son autorité était frappante. Elle fusait de lui comme l'éclair et la perçait au cœur. Dans un seul de ses regards elle voyait tout, elle comprenait tout. Le chef, c'était lui, il était juste et bon, parce que c'était lui, parce que c'était elle. Il fallait le suivre. Elles n'avaient rien compris, les copines, les ex-copines. Toutes à mépriser, à dénigrer ces hommes qui guidaient la France. Jamais elle n'aurait pensé, jamais elle n'aurait cru.
    Pareil pour le chocolat. En étant tout à fait honnête avec elle-même, avec le renfort d'un petit praliné bien noir, elle sentait bien sa perte de poids, comment dire, plutôt vague. A tanguer entre perte et. Non, pas la reprise. Elle planta le doigt dans le mou, un peu partout. Le maintien, voilà, le maintien. Son poids se maintenait. Une pause. La faute à qui, en tous pas à elle. Toutes les recettes, elle les tentait. « Le chocolat minceur, c'est moi », elle aurait pu le crier par la fenêtre, à la face de tous ces bandits dehors. Ils complotaient, ils refusaient l'autorité de l’État. Ils truquaient le chocolat, avait découvert i-télé. Une abomination, quand on y pensait. Ils étaient même capable de l'alourdir. Une bombe ! Elle se vit sous perfusion chocolatée, grossir comme une bouée sur-gonflée. A l'explosion, elle cria. Le chat passa le nez par la porte. Elle l'appela, il fila, elle pleura encore.
    Décidément, le coup était bien monté. A la manœuvre, la pâtisserie d'en face. Et même plus haut sûrement. Vampires tout-là-haut prêt à faire grossir des millions de pauvres Élise pour l'argent, ou par cruauté pure. Cruauté raffinée, aussi pure que les lipides qu'ils injectaient dans le chocolat, peut-être même dans l'air ambiant. Elle commença par rayer de son carnet d'adresses et la pâtisserie et ce minable groupuscule de fausses amies, promptes à l'enterrer sous leur gras scepticisme.
    La bataille ne faisait que commencer.
    Le désolant spectacle de médias appliqués à donner voix aux entreprises accablées par les charges et les folles injonctions de responsables irresponsables continua les jours suivants. Élise n'y connaissait à peu près rien, mais pour une fois que l’État lançait une action directe pour aider les gens au quotidien ils auraient pu le soutenir, après tout ils étaient là pour ça, non ? Elle branchait les informations dès qu'elle rentrait, s'installait devant la télé, zappant à la recherche du Premier ministre en sauveur, passant sur Facebook après avoir mangé. Les enrobées avaient leurs sites, leurs causes. Elle les connaissait, participait peu. S'exhiber, assumer un quintal de viande avec le sourire, et puis quoi encore. Twitter lui plaisait plus. Plus modeste, plus indirect. Avec trente en un mail, sa présence était plutôt discrète. Mais positive. Elle encourageait toujours, parfois sans bien savoir ce qu'elle re-tweetait. Jusqu'à présent, elle n'avait que sept abonnés. Ils étaient venus vers le drapeau français, qu'elle avait affiché après les attentats. Je suis Charlie avait été un de ses premiers tweets. Quand elle avait envie de critiquer, elle se retenait. Tellement facile de mordre, tellement immature. D'ailleurs, le gouvernement surveillait les réseaux. Il y avait beaucoup de tordus. Évidemment, elle n'avait pas le même pseudo sur les deux réseaux. Twitter, c'était son expérience, sa petite folie à elle. Amandine seule avait su qu'elle s'essayait à tweeter. Elle trouvait aussi Twitter plus intime que Facebook. Élise n'avait pas grand-chose à dire, elle n'était qu'une caissière, grosse en plus. Mais bon, parfois, on parlait des femmes, même des femmes en surpoids. Elle relançait ces échanges et se voyait dans les pensées du monde, participant au monde, malgré tout.

     

    Elle plongea. Quatre tweets mûrement réfléchi. Les twittos ne réfléchirent pas, ils zappèrent. Pas un seul retweet, même parmi sa poignée d'abonnés. Facebook, pas la peine d'y penser. Quoique. Un message fort pouvait déborder le cercle, faire le tour de la planète, et l'indignation exploserait. L'idéal aurait été une vidéo. Pour ça, il fallait affronter une caméra. De face. Impossible.
    Finalement, Facebook, n'était pas une si bonne idée. Trop grossier, trop vulgaire. De toute façon, les copines qui auraient pu liker avaient filé. Trois ou quatre l'avaient même bloqué. Elle voulu les bloquer à son tour, mais ça ne marchait pas. Elle lança tout de même une image piochée sur le Net, un magnifique gâteau au chocolat sous lequel elle écrivit « Ceci n'est pas un chocolat minceur, mais une saleté de fake, ne vous y trompez pas !!!!! ». L'image fut peu partagée mais abondamment moquée. Elle se retrouva en plein tir d'artillerie d'une certaine Bombinette, mafflue matrone qui ne l'avait invitée à la rejoindre que pour la descendre en flammes sur sa propre page. Elle lui écrivit « Tu es stupide, ce que tu dis est totalement stupide » et la bloqua aussitôt Au moins ne plus voir cette tête stupide.
    Ça ne marchait pas, mais vraiment pas. Elle se pesa avant d'aller au travail. Cette balance lui en voulait personnellement. Elle refit l'inventaire rapide de la cuisine. Quatre-vingt pour cent des aliments étaient à base de chocolat. Ils étaient tous étiquetés « minceur 95% », standard suggéré par le Premier Ministre lui-même. Il l'avait inauguré en direct sur i-télé en mangeant un gros carré de chocolat noir. Les marchands n'auraient pas pris de risque un combat aussi crucial !...Ils l'avaient pris.
    Sur son temps de pause, elle courut à la chocolaterie installée dans la même travée que Netta et, toute rougissante, traita la femme à la caisse de menteuse, puis de voleuse, avant de réaliser que le chocolat au cœur de son tourment ne se volait sans doute pas puisqu'il ajoutait des calories. J'ai bien compris, rectifia-t-elle, plutôt vous les aidez à nous polluer les entrailles tranquille, hein. Et ne faites pas celle qui ne comprend pas. Cette cochonnerie est là, en vente, en plein sur vos rayons. La femme ouvrit enfin la bouche. « Il faudrait voir le patron, je ne peux rien faire pour vous ». Il fallait prendre rendez-vous, écrire, autant dire laisser tomber. Élise partit en larmes et arriva en retard au travail. La chef lui fit la leçon au moins deux minutes avant de l'envoyer à son poste d'un geste absolument méprisant. Mais pour qui elle se prenait, celle-là ? Elle s'introduisit avec difficulté sur sa chaise et accueillit le premier client d'un regard assassin.

     

    Confrontée au chocolat potentiellement faux, à ses bourrelets indéniablement vrais, Élise, du haut de ses vingt-cinq ans d'âge, cent soixante-cinq centimètres de hauteur, quatre-vingt huit kilos de pesanteur, n'était pas de taille à lutter longtemps ni lourdement contre la canaille chocolatière qui truquait les meilleures choses, pourrissait l'élite admirable à la tête du pays. Elle passa un doigt léger sur la photo du Premier ministre placée sur la face intérieure de son armoire à linge, avant de murmurer machinalement « Chocolat douceur, chocolat minceur, me voilà ». Puis elle s'étira et commença à passer un peu de crème anti-douleur sur son avant-bras droit tendineux à force de déplacer les produits.
    Belle couche de rose sur le ciel du printemps qui venait malgré le changement climatique. Un peu pâlot mais joli quand même. La nature disait à tous « ça va aller », alors pourquoi ça n'allait pas ? Pourquoi les meilleures amitiés disparaissaient-elles comme les extra-terrestres dans ce fameux bunker qui archivait leurs traces, et dont elle ratait rarement un épisode ? Pourquoi le chocolat n'avait-il pas de lui-même choisi le côté minceur de la force ? Elle excusa sa propre bêtise. Les innocents devaient hériter du Royaume, après tout, même les innocentes athées. Donc, elle n'était qu'une simplette. Une fidèle aux principes, une fidèle simple et anonyme prête à tout pour le bien des autres, du pays, de la planète. Avec cette infecte angoisse qui ne s'en allait pas.
    Il était huit heures trente, elle aurait dû manger depuis au moins trois quart d'heure. Elle traînait dans son fauteuil, à bouger sans cesse pour trouver la bonne position, ses vêtements les plus amples ligués contre elle pour l'enfermer dans leur carcan. Elle s'attabla vers vingt et une heures devant ses rognons de veau, la nuit était venue depuis près de deux heures. Elle picora, finit à peine une demi-tablette de chocolat au lait en dessert. Quelque chose allait survenir, quelque chose était en train de lui arriver, elle le sentait dans l'air, dans la résistance des choses, dans le silence obstiné d'Amandine.
    Ce fut le Premier Ministre, qui arriva. I-télé interrompit son programme. Conférence de presse imprévue. Galzi, le présentateur, en bavait presque en annonçant le scoop. Attentat terroriste, nouvelle guerre, nouvel impôt, tout pouvait arriver, et c'était sur i-télé. Le Premier ministre s'installa face au micro, avança le menton et démarra son propos sur ce ton à la fois inquiet et légèrement agressif qui le caractérisait. En vignette sur l'angle droit de l'écran, Galzi fit la moue. Il n'était questions que de chocolat.
    Les vagues de la bataille médiatique avaient alerté le gouvernement, toujours sensible aux sujets de société et un Premier ministre ne pouvait pas ne pas réagir. Son préambule complaisant déboucha sur le sujet. Le chocolat minceur semblait être une idée à repenser. Dans l'absolu souci des intérêts de chacune, de chacun, et de ceux qui le fabriquaient, les entreprises. Un gouvernement garant de l'intérêt général devait les aider, et nous les aidons à hauteur de plusieurs milliards d'euros, marqua t-il, toujours caporal nerveux. Et de marteler le propos. Un gouvernement qui veut garantir l'emploi, les salaires, le niveau de vie de chaque salarié ne peut les mettre en difficulté. C'est dans cette optique que nous pensons à la fois aux salariés et aux personnes en difficulté avec leur charge pondérale. La loi intitulée « chocolat minceur » sera donc repensée dans cet esprit et, bien entendu, les décrets ne sortiront pas avant qu'elle ne soit conforme à l'esprit initial qui guidait le législateur. Le Premier ministre inclina la tête, sourit aux caméras et sortit par derrière dans les hurlements déçus de la presse privée de questions.

     

    Elle avait cru. Bien sûr qu'elle l'avait cru, cet homme ! Il avait converti le chocolat. C'était dit, c'était fait. La politique, c'était ça. On prenait une décision et elle devenait vraie, elle devenait réelle. Et tout le monde, tout le monde avait participé. Toutes les boites, au moins l'hyper, au moins la pâtisserie avaient vendu du chocolat minceur. Avec les étiquettes pour l'affirmer et les prix qui avaient grossi en conséquence, c'était pas une preuve ça ?
    Elle se leva du canapé et se mit à tourner en rond dans le salon. Dans sa tête les points d'interrogation piquaient sur le moindre lambeau de preuve. Elle s'assit à table, grignota un fruit, puis un bout de pain, puis un carré de chocolat. Il avait menti, ou peut-être pas, le Premier ministre. Il avait dit et il n'avait pas fait. Mais tous avait fait comme si. Le monde pouvait être violent et cruel, elle le savait. Elle était capable de l'affronter, d'affronter le contremaître et d'opposer l'acier à ses tentatives de la dominer. Mais, lui, là-haut, Premier ministre, il n'avait pas besoin de dominer puisqu'on le suivait, il était le guide. Sans prévenir l'image de son père, vieillissant, lui revint. Déjà gras et à moitié chauve, la serrant contre lui, contre son pull usé, dans son odeur d'homme et de tabac mêlées. Elle se mit à pleurer comme on se rend. Jusqu'au moment où Amandine l'appela, simplement pour lui dire, très vite, « Tu me manques, idiote » et de raccrocher aussi vite. Élise ne la rappela pas. Pas d'explications, pas question de dénouer, diluer ce merveilleux instant.
    Elle passa dans la salle de bains, suivie par son chien et, sans réfléchir, se pencha sur le lavabo en se mettant deux doigts au fond de la gorge. Pain et chocolat remontèrent très vite. Quelques spasmes et tout était fini. Elle se déshabilla, fit un pas de coté et se retrouva devant le miroir. Elle se campa en plein milieu comme on plonge dans une eau froide. Examina son corps, ou plutôt quelque chose comme l'allure générale, le mood de son enveloppe charnelle. Elle n'était pas grosse, finalement, enfin pas exactement. Elle avait du poids, du poids pour peser. Elle était là bien plantée au sol, et on l'avait flouée. Elle chuchotait à l'adresse de quelqu'un qui l'écoutait sans se montrer et riait parfois de la voir si remontée. On m'a laissé grossir en me disant que je maigrissais, c'est pire. C'est pire que. Elle ne trouvait pas les mots mais l'immense contradiction des mots et du réel s'alimentait à son indignation. Elle tremblotait sur place, sans aucune honte. Elle se voyait, peut-être pour la première fois, sans honte.
    En chuchotant pour cet ectoplasme mi-Amandine mi-papa, elle finit par voir l'issue. Elle ne pouvait pas accepter. Les yeux rouges, les mains repassant sur ses joues, effaçant les larmes, malaxant ses longues boucles brunes, à se tapoter les bras, les jambes et les seins comme des résonateurs organiques. Pas question d'accepter. S'imposa tout de suite la grève de la faim, comme une évidence. Sans exigence claire, sans vouloir réussir à tout prix. La grève comme un autre monde intime et exigeant qu'elle installait devant elle. Un exemple qui leur ferait monter le rouge au front. Juste être digne, leur signifier qu'on ne pouvait pas faire ça, on ne pouvait pas me faire ça à moi.
    Elle appela le petit hebdo local. Pas grand-chose à se mettre sous la dent pour le permanent en charge de la petite ville. Il débarqua bonnet sur la tête, la trentaine affairée, prit quelques photos, posa deux ou trois questions l'air ennuyé, partit sans un encouragement ni un sourire. On était samedi, le lundi sortait le numéro suivant. Elle se vit en page trois, enlaidie par le noir et blanc, mais quelque chose de décidé quand même dans le regard, la pose qu'il lui avait indiquée. Et le message était là, bien clair, en dessous. Une brève de cinq lignes. Voilà, c'était officiel. Elle était en grève.

     

    Une radio associative reprit l'info, voulut l'interviewer. Elle refusa. Parler dans un micro, tout le monde l'entendrait bafouiller. Non, elle savait pas, pas fait d'études vous savez, faut avoir l'habitude. Le responsable, également monteur et bricoleur, la rassura. Ce serait du différé, on prendrait le temps et il serait là avec elle tout le temps. Elle accepta. Le lundi l'hyper appelait. Mais qu'est-ce qu'il lui prenait, vous revenez ou c'est la porte, vous entendez. Glavieux, directeur des ressources humaines. Elle ne sut quoi répondre, raccrocha en larmes. Quelque chose s'était cassé, définitivement. Elle reviendrait chez ses parents, ne trouverait que des jobs, du précaire, finirait avec sa mère à lui crier dessus. De quoi dégonfler les plus fortes déterminations.
    Elle songeait à briser sa grève quand une des déserteurs l'appela. Elle venait prendre le vent. Ma pauvre tu t'es lancée dans un truc. Un drôle de truc. Tu es bien courageuse, mais ils vont rien faire. Le chocolat minceur, ma pauvre, mais il n'y a que toi pour avaler des couleuvres de cette taille. Oh, allez, on s'est disputée pour rien, d'accord, je suis avec toi, si tu as besoin. Élise n'avait pas besoin, mais merci. Puis une autre qui pleura en bafouillant. Élise ne comprit rien. Deux quand même qui revenaient. Elle savoura ce fruit amer jusques vers minuit, où elle s'autorisait une demi-tablette, pour tenir la grève.
    Quelqu'un avait remonté l'info vers la capitale. Un drame pouvait sortir de ce minuscule fait divers, avec un peu de chance. Une chaîne d'info continue envoya un stagiaire. Élise n'y crut pas. Finit par y croire et succomba devant l'importance qu'on lui accordait, qu'elle méritait, car elle était un symbole, un symbole souffrant des ravages de la politique, rendez-vous compte, parfaitement, un symbole de la France qui travaille, madame. L'apprenti reporter lui posa une main sur l'épaule et sourit. « Ça va aller, ne vous inquiétez pas, nous sommes là ». Il insista pour qu'elle parle librement, de toute façon ça serait remonté avant diffusion.
    Elle en était déjà à quatre jours de grève de la faim. La diffusion lui révéla une autre Élise. Sa silhouette lui plût et son air hanté, comme une héroïne, une vraie héroïne de feuilleton, surtout le final, quand elle récita d'une petite voix même plus tremblante « chocolat douceur, chocolat minceur, me voilà ! ».
    D'autres chaînes reprirent l'info. Le sujet faisait audience, à la surprise des programmateurs. On creusa aux alentours. La petite ouvrière émouvait, il fallait en faire un sujet de société. On tira les politiques par la manche. Quelques responsables crurent responsable de critiquer la jeune femme qui demandait la lune pour ne pas être capable de prendre sa vie en main et maîtriser sa consommation. On revint au galop dans la banlieue où vivait Élise, cueillir quelques réactions aux réactions. Qui cognèrent allègrement sur les avis méprisants et cruel de ceux-là, là-bas qui en ont rien à faire de nos problèmes, comme d'habitude.
    Un premier sondage confirma la parfaite inadéquation des donneurs de leçons. Soixante-dix-huit pour cent des sondés estimaient qu’Élise avait plutôt raison, tandis que quatre-vingt-deux pour cent avouaient consommer du chocolat très régulièrement. Soixante pour cent souhaitaient la fin du chocolat calorique, si le goût demeurait.
    Une lettre de l'hyper convoqua Élise pour un entretien préalable au licenciement. Les copines toutes revenues tissèrent un parterre de pleurs autour de son lit. Amandine brandit l’étendard. Ils allaient voir, ces monstres sans cœur ! C'est pas avec ce qu'on gagne qu'on pourrait se payer leurs heures de fitness et leurs liposuccions! Élise, la lettre chiffonnée entre les mains, dans sa chemise de nuit blanche osait espérer un miracle pour la figure qu'elle était devenue en à peine plus d'une semaine.
    Amandine fit voter l'équipe sur une pétition. L'équipe vota pour. Sueurs et doutes sur le texte. Que demander, finalement ? Élise s'endormait toutes les cinq minutes. Sue Ellen optait pour une loi ; la loi c'est la loi, ça impose, ça calme. Tout de suite contrée par Estelle qui voulait aller vite, on a pas le temps d'attendre, tu veux la faire mourir. Les trucs d'applications, c'est ça qu'on veut, tout de suite. Et d'abord, on va mettre combien y a de grosses en France. Sue Ellen la reprit au vol : « des personnes en surpoids, on dit. L'autre eh, des grosses... » Élise émergea, s'inquiéta. On fait comme on a dit, ma belle, la pétition est déjà sur le Net, triompha Sue Ellen.
    L'appel trouva sa cible comme si on n'attendait que lui. Deuxième acte de furie médiatique. Ravitaillée dans le secret le plus absolu par Amandine, Élise reprit ses pauses chocolatées nocturnes. Il fallait tenir son rang devant la meute qui campait presque au pied de sa porte.
    Un magazine féminin vint l'interviewer. Elle refusa. Faiblesse. L'intervieweuse la coinça au téléphone et dans le fil du papotage déroula ses questions. Qui changèrent la trajectoire du fait de société.

     

    Interview psy oblige, Lucie, appelez-moi Lucie, déclara qu'on ne pouvait éviter plus longtemps non pas la madeleine, mais le carré, le carré de chocolat. A quels souvenirs vous ramène-t-il que vous n'ayez pas eu le temps de coucher sur le papier ? Élise bailla et but un peu.
    Souvenirs, pas grand-chose, la fatigue vous comprenez, la faim, avoua Élise. Le regard brûlant de la chef d'interrogatoire, sèche comme un de fouet, écartait cette évidence. Un regard peu différent de ceux qui la collaient à sa caisse chaque jour. L'angoisse, cette chère angoisse remontait malgré l'anesthésiante fringale. Lui tordait l'estomac, comme l'envie de chocolat. Deux pièces d'un même trouble secouant sa tête migraineuse. Elles fusionnèrent, évidemment. Le chocolat, il me réconforte, il m'a réconforté depuis un bon moment, souffla Élise. L'autre, évidemment, rebondit. Depuis quand ? Oh, je ne sais pas, moi. Élise se sentit particulièrement lourde et vulnérable. L'angoisse et le chocolat. Chocolat et angoisse. Elle salivait, son estomac bouillonnait. C'était le chef, le boulot quoi. Elle s'essuya le visage. L'autre en face sourit. Elle comprenait, bien sûr, bien sûr voilà le fond, hein ? Vous avez été harcelée. Élise leva les sourcils, mais non, non. Harcelée, comment ça, mais.. ? L'autre secoua la tête, l'air entendu. Je veux dire harcelée par ce travail monotone, épuisant quoi. Allons, tous ces clients, toujours plus vite, si répétitif, si répétitif, hein, ma petite ? Élise se redressa. Ma petite, mais pour qui elle... ? Mais le mot glissa aussi sec dans le coton. Le regard de l'autre n'était plus brûlant, maintenant, plutôt bienveillant, en fait. Oui, j'en pouvais plus, j'étais fatiguée, fatiguée. Oui, l'autre la suivait, la couvait, oui, le chocolat, alors. Oui, ça m'aidait à tenir contre. Contre le chef, les chefs, ils poussaient, hein, tout le temps, la répétition, hein ? Élise se sentait si faible, si soulagée. Oui, quelque chose flottait en elle, quelque chose qu'elle n'aurait pu penser d'elle, avant. Incongru comme si l'autre parlait d'une sosie, mais, quand même, pas si incongrue que ça.
    L'interview franchement retouché enfonça le clou sur le harcèlement. Il souleva peu les foules, sauf chez Netta. Remontées comme des cyclistes anabolisés, les collègues secouèrent l'hyper le lendemain, pas question de se laisser faire. Débrayage le surlendemain. Les médias collaient à cette nouvelle saison de la Pasionaria du chocolat, comme l'avait finement nommé un grand journal du soir.

     

    Le quinzième jour, Judith organisa une séance maquillage/photos avec un vrai appareil, pour de plus belles images, pour nous, pour la presse, tout ça quoi. Élise refusa de se voir, puis jeta un œil sur les images dans le ventre de l'engin pendant que les copines tournaient dans la pièce en reprenant et du champagne Netta et les slogans des grévistes de l'hyper.
    A ce point de maigreur son corps lui apparaissait mystérieux. Elle n'aurait même pas pu imaginer ses courbes, ses plats et méplats. Les os des épaules, des genoux, des coudes, émergés du terrain amaigri, déployaient un corps inédit dont la minceur la fascinait par son étrange beauté. Un résultat tout à fait inattendu, presque impensable. Pourtant, c'était bien elle. Elle essaya ce corps devant le miroir de la salle de bain, la porte bien refermée sur elle seule.
    Vitesse de libération atteinte. Elle fouilla la panière à linge, extirpa du fond un sachet de pralinés. Elle en prit un et le garda dans sa main ouverte un moment, tout en se balançant devant le miroir, avant de le remettre dans le sachet qu'elle repoussa au fond de la panière. On riait, on chantait, dans le salon. Elle quitta la salle de bain et n'eut que le temps de tendre les bras vers Amandine qui la ramena doucement au lit. Le vertige s'estompa, elle se redressa sous les regards amis. La radio grésillait au pied du lit. Judith monta le son. Le Premier ministre, encore plus cassant et pathétique que d'habitude. Sans doute en sueur, agité, perdu. Elle fit signe à Amandine qui se pencha. Elle la serra et l'embrassa. Amandine sourit et commença à enfiler son blouson. Les autres entamèrent le défilé pour la bise avant le départ.
    Il fallait dormir. Ce n'était pas une mince victoire qu'elle venait de remporter, mais demain il faudrait encore aller de l'avant, pour trouver le chemin.

     

     

     

     

     

     

     


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