• C2J5

     

    Chronique réelle ou imaginaire, dans l'espace-temps du reconfinement...

     

     

    C2J5

     

    Constaté que les murs de mon appartement ont rétréci. Je l'ai perçu sans y croire vraiment, un mauvais rêve chasse l'autre, je fais le gros dos. Quand même le lendemain, après le café, sorti le mètre à ruban et pris quelques repères par rapport à une partie fixe, normalement. Le balcon, c'est rattaché à l'appartement, et en temps même fixé à la façade. Ni pour, ni contre. Ça ira.

    Attendu une poignée de jours en baissant ma consommation d'alcool et avalant l'anxiolytique prescrit par docteur masque pour les crises d'angoisse. Mon docteur a beaucoup d'imagination pour passer de « je me sens à l'étroit, docteur » à presque la camisole. Repris des mesures en long en large, à pas lents j'ai arpenté du balcon au salon, de la lumière à la pénombre, à 10 h et 18h, puis à 12h et 16h, quatre jours d'affilée. Le mètre grinçait, le balcon résonnait, en dessous je commence à sentir grincer aussi l'occupante et son bambin braillard.

     

    Est-ce le coefficient de marée, l'univers neuronal en expansion dans ma tête, je ne sais pas. Ce que je vois, c'est que le fond se rapproche du balcon, pareil pour les côtés qui tirent vers le centre de l'appartement. Comparaison avec les données cadastrales fournies si gentiment par le notaire, à l'achat, peu concluantes, vu que j'ai du mal à mesurer exactement, avec les recoins, les marches...

     

    Pourvu des protections réglementaires, soigneusement gélifié, je descends voir la voisine. J'écoute, pas de bruit, le gamin doit dormir. Elle aussi, qui sait, j'hésite. Tant pis, allons-y le monde ne se fait pas sans risques, ni Sète en un jour, et rien d'impossible à cœur battant. Non pas que j'ai des visées, non, c'est juste pour confronter, harmoniser nos perceptions sur. Voilà, j'ai sonné. Elle ouvre, mais pas tout de suite. Évidemment, les mains, le masque, la cuirasse. Enfin, elle ouvre pour de vrai. Ah, c'est vous. Je ne peux nier. Son regard n'est pas franchement inamical. J'apprécie. Un poil d'ironie est aussi perché sur ses cils vibratiles. C'est moins drôle. Enfin, nous sommes là pour une raison précise et même mesurée. Votre salon, votre entrée, pas d'entrée, votre chambre, non, non et non. Bon, elle s'impatiente à peine, même pas du bout du pied, mais je la sens un peu, déstabilisée. On sait plus juger de l'humain sous ces couches supplémentaires que l'époque nous impose.

     

    C'est quoi, ce grondement ?!...Ah, tiens, je n'avais pas remarqué qu'elle avait la voix aussi grave. Avec ses yeux plutôt grands et plutôt deux, ça fait un contraste pas vilain. Elle ajoute que des fois aussi, mais ne le dites pas, j'ai l'impression. L'impression ? Que les murs, vous savez bien. Exquise. Elle n'ose pas toucher à mes mots, ça m'émeut. J'ai une grosse envie de baisser le masque, mais sa main est si petite, appuyée sur la chambranle, que je risque de lui faire une grosse peur. Je souris, ça doit remonter aux yeux, normalement. Elle secoue sa frange, elle a une frange qui fait des ronds sur son front. L'impression que les murs vieillissent, elle dit, vous savez vers 11h et souvent 19h, à la nuit. Et qu'ils rétrécissent, oui. Mais, elle ajoute « mais » en baissant la tête, je baisse moi aussi la tête. Peut-être d'origine japonaise, je ne crois pas. Mais je crois que c'est dans ma tête. Dans ma tête aussi alors. Elle ne l'a pas dit, quelle délicatesse. Je la remercie, je vais vérifier, vous avez peut-être raison. C'est gentil. Mais de rien, elle tripote son masque, le baisse et sourit. Je recule et puis je reviens.

     

    Finalement, je me demande en remontant, le balcon est-il un indicateur fiable, sans oublier que la dérive des continents se poursuit. De toute façon, il faudra rendre compte, ne serait-ce que pour bien faire la part de ce qui est dans ma tête et ce qui est ailleurs. Et elle me paraît tout à fait mesurée dans ses propos. Je joue un instant, sur le balcon, avec mon mètre ruban, qui finit par se coincer.


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